Écoles maternelles : organisation, surveillance et inspection - décret du 2 août 1881

[Frise interactive] L'histoire des grands textes de l'Éducation nationale

Le Président de la République française,

Sur le rapport du Président du Conseil, Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts,

Vu l'article 57 de la loi du 15 mars 1850 ;

Vu la loi du 27 février 1880, relative au Conseil supérieur de l'Instruction publique ;

Vu les articles 1, 6 et 7 de la loi du 16 juin 1881, relative à la gratuité de l'enseignement primaire ;

Vu l'article 2 de la loi du 16 juin 1881, relative aux titres de capacité pour l'enseignement primaire ;

Décrète :

Titre I - Dispositions communes aux écoles maternelles publiques et libres (organisation, surveillance et inspection)

Art. 1. - Les écoles maternelles (salles d'asile), publiques ou libres, sont des établissements d'éducation où les enfants de deux sexes reçoivent les soins que réclame leur développement physique, intellectuel et moral.

Les enfants peuvent y être admis dès l'âge de deux ans accomplis et y rester jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de sept ans.

Art. 2. - L'enseignement dans les écoles maternelles comprend :

1° Les premiers principes d'éducation morale ; des connaissances sur les objets usuels ; les premiers éléments du dessin, de l'écriture et de la lecture ; des exercices de langage ; des notions d'histoire naturelle et de géographie ; des récits à la portée des enfants ;
2° Des exercices manuels ;
3° Le chant et des mouvements gymnastiques gradués.

Art. 3. - Les écoles maternelles sont exclusivement dirigées par des femmes.

Art. 4. - Nulle ne peut diriger une école maternelle avant l'âge de 21 ans accomplis et sans être pourvue du certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles.

Nulle ne peut diriger une école maternelle annexée à un cours normal avant l'âge de vingt-cinq ans, ni sans avoir exercé pendant cinq ans dans les écoles maternelles publiques ou libres.

Nulle ne peut être sous-directrice d'école maternelle avant l'âge de dix-huit ans, ni sans justifier du certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles.

Art. 5. - Sont incapables de tenir une école maternelle publique ou libre les personnes qui se trouvent dans les cas prévus par l'article 26 de la loi du 15 mars 1850.

Art. 6. - Indépendamment des autorités instituées par la loi pour la surveillance et l'inspection des écoles, l'inspection des écoles maternelles est exercée :

1° Par les inspectrices générales ;
2° Par les inspectrices départementales.

Les inspectrices générales et départementales sont nommées par le Ministre.

Art. 7. - Nulle ne peut être nommée inspectrice générale sans avoir au moins trente-cinq ans d'âge et cinq ans de service dans l'enseignement public ou libre et sans être pourvue :

1° du brevet supérieur ;
2° du certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles ;
3° du certificat d'aptitude à l'inspection des écoles maternelles.

Une inspectrice générale fait partie du comité consultatif de l'enseignement primaire au Ministère de l'Instruction publique.

Art. 8. - Nulle ne peut être nommée inspectrice départementale sans avoir trente ans d'âge et trois ans de service dans l'enseignement public ou libre et sans être pourvue : 1° du brevet supérieur ou, à son défaut, du brevet élémentaire complété par le certificat d'aptitude pédagogique ; 2° du certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles ; 3° du certificat d'aptitude à l'inspection des écoles maternelles.

Les inspectrices départementales visitent deux fois par an, au moins, les écoles maternelles de leur ressort, et adressent à l'inspecteur d'académie un rapport spécial sur chaque école, à la suite de chaque inspection.

Elles donnent leur avis sur la nomination et la révocation des directrices et sous-directrices d'écoles maternelles publiques, ainsi que sur les récompenses qui peuvent leur être accordées.

Art 9. - L'examen pour l'obtention du certificat d'aptitude à l'inspection des écoles maternelles comprend les épreuves suivantes :

1° Épreuve écrite :

Un sujet de pédagogie appliqué aux écoles maternelles ;

2° Épreuve orale :

Questions de législation et d'administration concernant les écoles maternelles ;

3° Épreuve pratique :

Inspection d'une école maternelle et rapport à la suite de cette inspection.

Un arrêté ministériel déterminera les conditions de cet examen.

Art. 10. - Il peut être établi, dans chaque commune où il existe des écoles maternelles, un ou plusieurs comités de dames patronnesses présidés par le maire.

Les membres du comité de patronage sont nommés par le préfet, sur la proposition de l'inspecteur d'académie et après avis du maire.

Ce comité a pour attribution exclusive de veiller à l'observation des prescriptions de l'hygiène, à la bonne tenue de l'établissement et au bon emploi des fonds ou des dons en nature recueillis en faveur des enfants.

Art. 11. - L'inspection des écoles maternelles libres porte sur la morale, l'hygiène et la salubrité. Elle ne peut porter sur l'enseignement que pour vérifier s'il n'est pas contraire à la morale, à la Constitution et aux lois.

Titre II - Écoles maternelles publiques

Art. 12. - Dans les écoles maternelles publiques, les enfants seront divisés en deux sections suivant leur âge et le développement de leur intelligence.

Art. 13. - Les premiers principes d'éducation morale seront donnés dans les écoles maternelles publiques, non sous forme de leçons distinctes et suivies, mais par des entretiens familiers, des récits, des chants destinés à inspirer aux enfants le sentiment de leurs devoirs envers la famille, envers la patrie, envers Dieu. Ces premiers principes devront être indépendants de tout enseignement confessionnel.

Art. 14. - Les connaissances sur les objets usuels comportent des explications très élémentaires sur le vêtement, l'habitation et l'alimentation, sur les couleurs et les formes, sur la division du temps, les saisons, etc.

Art. 15. - Les exercices de langage ont pour but d'habituer les enfants à parler et à rendre compte de ce qu'ils ont vu et compris. Les morceaux de poésie qu'on leur fait apprendre seront courts et simples.

Art. 16. - L'enseignement du dessin comprend :

1° Des combinaisons de lignes au moyen de lattes, bâtonnets, etc. ;
2° La représentation sur l'ardoise de ces combinaisons et de dessins faciles faits par la maîtresse, au tableau quadrillé ;
3° La reproduction sur l'ardoise des objets usuels les plus simples.

Art. 17. - La lecture et l'écriture seront, autant que possible, enseignées simultanément.

Les exercices doivent toujours être collectifs.

Art. 18. - L'enseignement du calcul comprend :

1° L'étude de la formation des nombres de 1 à 10 ;
2° L'étude de la formation des dizaines de 10 à 100 ;
3° Les quatre opérations, sous la forme la plus élémentaire, appliquées d'abord à la première dizaine ;
4° La représentation des nombres par les chiffres ;
5° Des applications très simples du système métrique (mètre, litre, monnaie).

Cet enseignement sera donné au moyen d'objets mis entre les mains des enfants, tels que lattes, bâtonnets, cubes, etc.

Les enfants seront exercés au calcul mental sur toutes les combinaisons de nombres qu'ils auront faites.

Art. 19. - Les éléments d'histoire naturelle comprennent la désignation des parties principales du corps humain, des notions sur les animaux les plus connus, les végétaux et les minéraux usuels.

Cet enseignement est donné à l'aide d'objets réels et de collections formées autant que possible par les enfants et les maîtresses.

Art. 20. - L'enseignement de la géographie est descriptif ; il s'appuie sur l'observation des lieux où vit l'enfant.

Il comprend :

1° L'orientation (points cardinaux) ;
2° Des notions de la terre et des eaux ;
3° Quelques indications sur les fleuves, les montagnes et les principales villes de France.

Art. 21. - Les récits porteront principalement :

1° Sur les grands faits de l'histoire nationale ;
2° Sur des leçons de choses.

Art. 22. - Les exercices manuels consisteront en tressage, tissage, pliage, petits ouvrages de tricot.

Les travaux de couture et tous autres travaux de nature à fatiguer les enfants sont interdits.

Art. 23. - L'enseignement du chant comprend :

Les exercices d'intonation et de mesure les plus simples, les chants à l'unisson et à deux parties qui accompagnent les jeux gymnastiques et les évolutions. Les chants sont appropriés à l'étendue de la voix des enfants. Pour ces exercices, les directrices se serviront de diapason.

Art. 24. - Les exercices gymnastiques seront gradués de manière à favoriser le développement physique de l'enfant. Ils se composeront de mouvements, de marches, d'évolutions et de jeux dirigés par la maîtresse.

Art. 25. - Les leçons ne devront jamais durer plus d'un quart d'heure ou vingt minutes ; elles seront toujours séparées par des chants, des exercices gymnastiques, des marches ou des évolutions.

Art. 26. - Les conditions dans lesquelles doivent être établies les écoles maternelles publiques, tant au point de vue des bâtiments que de l'ameublement, seront l'objet d'un règlement spécial.

Art. 27. - Le matériel d'enseignement de l'école maternelle comprend nécessairement les objets suivants :

Un claquoir, un sifflet ;

Un ou plusieurs tableaux noirs, dont un au moins sera quadrillé ;

Une méthode de lecture en tableaux et plusieurs collections d'images ;

Un nécessaire métrique ;

Un globe terrestre et une carte murale de la France ;

Un boulier ;

Des collections de bûchettes ou bâtonnets, des lattes, des cubes, etc. ;

Une collection de jouets ;

Des ardoises, quadrillées d'un côté et unies de l'autre ;

Un diapason.

Art. 28. - Aucun enfant n'est reçu dans une école maternelle s'il n'est muni d'un billet d'admission signé par le maire et s'il ne produit un certificat de médecin, dûment légalisé, constatant qu'il n'est atteint d'aucune maladie contagieuse et qu'il a été vacciné.

Art. 29. - Lorsqu'un enfant est présenté dans une école maternelle, la directrice fait connaître aux parents les conditions réglementaires auxquelles ils devront se conformer.

Art. 30. - Un mois de vacances est successivement accordé chaque année aux directrices et sous-directrices d'écoles maternelles.

Art. 31. - Les enfants seront toujours repris avec bienveillance. Ils ne devront pas être frappés.

Art. 32. - Un médecin nommé par le maire visite une fois par semaine les écoles maternelles.

Il inscrit ses observations sur un registre particulier.

Art. 33. - Les directrices et les sous-directrices des écoles maternelles publiques sont nommées et révoquées dans la même forme que les institutrices publiques. Les mêmes peines disciplinaires leur sont applicables et dans la même forme qu'aux institutrices.

Les directrices sont choisies, autant que possible, parmi les sous-directrices.

Chaque année, la directrice adresse à l'inspectrice départementale un rapport détaillé sur tout ce qui concerne l'établissement quelle dirige.

Art. 34. - Dans toute école maternelle publique recevant plus de cinquante enfants, la directrice est aidée par une sous-directrice.

Dans toute école maternelle publique recevant plus de vingt-cinq enfants, la directrice est assistée par une femme de service.

Art. 35. - Les directrices et sous-directrices d'écoles maternelles publiques pourvues du brevet de capacité sont assimilées aux institutrices titulaires et adjointes pour la fixation du taux du traitement, les conditions de l'avancement et du logement.

Art. 36. - La femme de service est nommée, dans chaque école maternelle publique, par la directrice, avec agrément du maire ; elle est révoquée dans la même forme.

Ar. 37. - Un règlement des écoles maternelles publiques de chaque département sera rédigé par le conseil départemental, d'après les indications générales d'un règlement-modèle arrêté par le Ministre de l'instruction publique en Conseil supérieur.

Titre III - Écoles maternelles libres

Art. 38. - Quiconque veut ouvrir ou diriger une école maternelle libre doit se conformer préalablement aux dispositions prescrites par les articles 25 et 27 de la loi du 15 mars 1850, et 1, 2 et 3 du décret du 7 octobre 1850.

Le préfet peut faire opposition à l'ouverture de l'école maternelle, dans les cas prévus par l'article 28 de la loi du 15 mars 1850 et par l'article 4 du décret du 7 octobre 1850. L'opposition est jugée par le Conseil départemental, contradictoirement et à bref délai. Le recours est admis lorsque l'opposition est faite à la personne. Si le maire refuse d'approuver le local, il est statué à cet égard par le Conseil départemental.

À défaut d'opposition, l'école maternelle peut être ouverte à l'expiration du mois.

Art. 39. - Le Conseil départemental peut, par application de l'article 30 de la loi du 15 mars 1850, censurer, suspendre pour un temps qui ne pourra excéder six mois, ou interdire de l'exercice de sa profession dans la commune où elle réside, une directrice ou sous-directrice d'école maternelle libre.

Il peut frapper d'interdiction absolue une directrice ou une sous-directrice d'école maternelle libre ou publique, sauf appel devant le Conseil supérieur de l'Instruction publique, dans les délais légaux.

Titre IV - Examens

Art. 40. - Il est institué, dans chaque département, une commission d'examen chargée de constater l'aptitude des personnes qui aspirent à diriger les écoles maternelles.

La commission tient une session ordinaire par an. La date de l'ouverture de la session est fixée par le Ministre.

Les membres de la commission d'examen sont nommés pour trois ans par le Conseil départemental de l'Instruction publique.

La commission d'examen se compose :

De l'inspecteur d'académie président ;

D'un inspecteur de l'instruction primaire faisant fonctions de secrétaire ;

D'un ou plusieurs membres de l'enseignement public ou libre ;

De l'inspectrice départementale.

Les commissions ne peuvent délibérer qu'autant que cinq de leurs membres sont présents. Les délibérations sont prises à la majorité des suffrages. En cas de partage, la voix du président est prépondérante.

Pour procéder à l'examen oral, la commission ne peut, dans aucun cas, se subdiviser en sous-commissions de moins de trois membres.

Art. 41. - Les certificats d'aptitude sont délivrés, au nom du recteur, par l'inspecteur d'académie dans les départements, et, à Paris, par le vice-recteur.

Art. 42. - Nulle n'est admise devant une commission d'examen avant l'âge de dix-huit ans et sans avoir déposé entre les mains de l'inspecteur d'académie, un mois avant l'ouverture de la session :

1° Son acte de naissance ;
2° Des certificats attestant sa moralité et indiquant les lieux où elle a résidé et les occupations auxquelles elle s'est livrée depuis trois ans au moins.

Aucune dispense d'âge ne pourra être accordée, sauf dans le cas où l'aspirante serait déjà pourvue du brevet de capacité.

Art. 43. - L'examen se compose de deux parties distinctes :

1° Un examen d'instruction ;
2° Un examen pratique.

L'examen d'instruction comprend :

Des épreuves écrites ;

Des épreuves orales.

Épreuves écrites :

1° Une dictée d'orthographe de vingt lignes environ tirée d'un texte simple et facile ; la dictée sert d'épreuve d'écriture ;
2° La solution raisonnée de deux questions d'arithmétique portant sur les applications du calcul et du système métrique ;
3° Une rédaction d'un genre simple (lettre, récit, rapport) ;
4° Un dessin au trait sur ardoise d'après un objet usuel.

Les aspirantes exécuteront en outre des travaux à l'aiguille.

Épreuves orales :

1° Principes d'éducation morale ;
2° Lecture ; explication du texte et questions de grammaire ;
3° Géographie ; notions générales ; géographie de la France ;
4° Histoire de France (grands faits et grands hommes) ;
5° Notions élémentaires d'histoire naturelle et d'hygiène applicables aux leçons de choses ;
6° Chant (un exercice sur un chant très simple).

L'examen pratique a lieu dans une école maternelle préalablement désignée et où les aspirantes ont le droit d'assister aux exercices deux jours avant l'examen.

Cet examen se compose des exercices ordinaires de l'école ; il est accordé une heure pour la préparation de la leçon.

L'aspirante doit remplir les fonctions de directrice pendant une partie de la séance, et celle de sous-directrice pendant l'autre partie.

Une heure est donnée à chaque aspirante pour préparer sa leçon ; les sujets sont tirés au sort.

Le jury exprime la valeur de chacune des épreuves par les notes qui suivent :

Très bien ; - Bien ; - Passable ; - Mal ; - Nul.

Pour l'épreuve d'orthographe, cinq fautes entraînent la nullité ; trois ou quatre fautes, la note mal ; deux fautes la note passable ; une faute et une demi-faute, la note bien ; la dictée ayant moins d'une demi-faute donne seule droit à la note très bien.

Les notes données par la commission sont le résultat de l'appréciation faite en commun de chaque épreuve.

La note nul sur l'une des matières entraîne l'ajournement.

A chacun des examens, deux notes mal entraînent l'ajournement, à moins qu'elles ne soient compensées par deux notes très bien.

Art. 44. - Il pourra être créé, dans chaque académie, aux frais de l'Etat, un cours normal des écoles maternelles analogue à celui qui existe à Paris sous le nom d'école Pape-Carpantier.

Un décret ultérieur déterminera les conditions d'existence de ces établissements.

Art. 45. - Les décrets du 16 mai 1854 et du 21 mars 1855, les arrêtés du 22 mars 1855, du 28 mars 1857, du 5 août 1859 et du 30 juillet 1875 sont et demeurent rapportés.

Fait à Paris, le 2 août 1881.

JULES GREVY

Le Président du Conseil,

Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts,

JULES FERRY

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Mise à jour : juin 2020