Les enseignants : professionnalisation, carrières et conditions de travail

Ce numéro de la revue Éducation & formations met en perspective les questions de l’accès au métier d’enseignant, des rémunérations, de la mobilité, des risques psychosociaux, de la violence au travail. Il aborde également l’expérience d’enseignants qui font face à des enfants autistes en milieu ordinaire et en milieu spécialisé.

Rédactrice en chef : Caroline Simonis-Sueur

Le métier d’enseignant en Angleterre, aux Pays-Bas et en Suède : les voies sinueuses d’une professionnalisation

Florence Lefresne, Robert Rakocevic

Assiste-t-on à une professionnalisation du métier d’enseignant ? L’Angleterre, les Pays-Bas et la Suède illustrent la dynamique dans laquelle semblent s’être engagés depuis quelques décennies bon nombre de systèmes éducatifs en Europe. On constate notamment une responsabilisation accrue des établissements scolaires, entraînés dans une démarche de véritable management des ressources contribuant de surcroît à estomper les frontières entre les secteurs public et privé. Plus récemment, le constat d’une pénurie d’enseignants qualifiés et d’une faible attractivité du métier d’enseignant, voire, dans le cas de la Suède, d’une baisse des acquis des élèves, attise les débats sur la qualité de l’éducation. À ce contexte particulier, les pouvoirs publics répondent par des réformes de la formation et de l’accès au métier. Pour autant ces dernières relèvent de logiques différentes : exigences de qualité renforcées en Suède et aux Pays-Bas, élargissement des viviers de recrutement dans le cas de l’Angleterre. La question de l’attractivité renvoie également au statut même des enseignants que ces derniers ressentent comme dévalorisé. De ce point de vue, les réformes engagées afin de rendre les enseignants de plus en plus comptables de la réussite éducative confèrent un rôle stratégique de gestionnaire aux administrations locales. Celles-ci ne semblent toutefois pas exercer d’effets sensibles sur la revalorisation collective du statut d’enseignant et se heurtent à des enjeux de légitimation.

Les enseignants du public sont-ils mieux payés que ceux du privé ?

Marion Defresne

En 2014, le salaire brut (c’est-à-dire ce que perçoit tout salarié avant déductions sociales et fiscales) d’un maître du privé sous contrat représente 90 % du salaire d’un enseignant exerçant dans le secteur public. L’écart de salaire s’explique pour les trois quarts par des différences de composition en termes de corps, temps d'enseignement et lieu d’affectation des deux populations enseignantes. Ces mêmes caractéristiques individuelles n’expliquent que la moitié de l’écart de salaire net entre les deux secteurs. La différence tient en ce que les cotisations sociales dans le privé sont supérieures à celles du public, en contrepartie d’une espérance suggérée de pension de retraite plus élevée.

Améliorer la mobilité des enseignants : un nouvel algorithme ne pénalisant pas les académies les moins attractives

Julien Combe, Olivier Tercieux, Camille Terrier

L’affectation des enseignants au sein des établissements recouvre une multitude d’enjeux importants : attractivité de la profession, inégalités géographiques, réussite des élèves, etc. L’arbitrage entre ces différentes dimensions s’avère délicat. Assurer une mobilité forte des enseignants peut se faire au prix d'une augmentation des inégalités entre les différentes académies en termes d’expérience des enseignants affectés, et, in fine, au détriment de la réussite des élèves dans les académies les moins attractives. Dès lors, la procédure informatique utilisée afin d’affecter les enseignants du second degré s’avère être un levier important pour arbitrer entre mobilité et égalité entre académies. Dans cet article, nous montrons dans un premier temps que de la procédure actuelle résulte un fort manque de mobilité des enseignants. Nous proposons une procédure d’affectation alternative et quantifions l’impact que pourrait avoir l’adoption de celle-ci par rapport au système actuel. L’une des procédures alternatives que nous proposons permet d’augmenter de plus de 30 % le mouvement des enseignants titulaires tout en prenant en compte les spécificités des académies les moins attractives. Pour ces académies, nous fournissons un outil de pilotage qui permet de faire des simulations et de tester différentes stratégies RH – augmentation, maintien ou diminution du mouvement dans ces académies. Ce travail souligne ainsi l’impact positif important que pourrait avoir une modification du système actuel d’affectation des enseignants en termes de mouvement.

Les enseignants face aux risques psychosociaux : comparaison des enseignants avec certains cadres du privé et de la fonction publique en 2013

Sylvaine Jégo, Clément Guillo

Les risques psychosociaux (RPS) sont des risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental.
Depuis 2015, chaque employeur de la fonction publique doit élaborer un plan d’évaluation et de prévention des RPS sur leur lieu de travail. Pour cela, la DARES 1 a mis les données de l’enquête Conditions de travail 2013 à disposition de la DEPP 2 pour établir un bilan statistique des facteurs de RPS chez les enseignants. Afin de déterminer s’il existe une spécificité enseignante d’exposition aux facteurs de RPS, leurs résultats sont comparés avec ceux des cadres et professions intermédiaires de la fonction publique et du privé. À partir d’une analyse des facteurs communs sur les nombreux items de l’enquête, sept indices d’exposition aux facteurs de RPS sont créés, proches dans leur contenu des six dimensions recensées par le collège d’expertise présidé par Michel Gollac. Un indice global d’exposition aux facteurs de RPS est ensuite calculé et testé sur les items traitant de l’état de santé déclaré des employés.
Il apparaît qu'en 2013 les enseignants étaient plus exposés aux facteurs de RPS que les cadres, avec une forte intensité de leur métier, des exigences émotionnelles plus importantes et un manque de soutien hiérarchique et entre collègues, notamment dans le premier degré. Ce constat rejoint l’idée qu’enseigner tend vers un métier solitaire.

Violence à l’école, violence au travail : le cas des enseignants

Fabien Gilbert, Marie-Noël Vercambre-Jacquot

Dans l’enquête nationale Qualité de vie des enseignants, 17 % des enseignants déclaraient avoir été victimes de comportements hostiles de manière répétée (« violence psychologique au travail ») au cours des deux premiers trimestres de l’année scolaire 2012-2013, et 40 % d’en avoir été témoins. La violence « scolaire » impliquant un élève était surtout présente dans le secondaire, alors que la violence dans le premier degré impliquait plutôt un parent. La violence « interne » inhérente au monde professionnel s’ajoutait à tous les niveaux d’enseignement : relations conflictuelles avec les collègues et tension avec la hiérarchie.
Les enseignantes étaient plus souvent victimes de violence psychologique au travail que leurs homologues masculins. Les enseignants du supérieur étaient moins concernés ainsi que les professeurs du privé. La probabilité d’être témoin de violence n’était pas différente chez les hommes et les femmes, mais elle était plus élevée dans le second degré, au collège et dans les lycées professionnels notamment. Dans les modèles multivariés, les autres facteurs professionnels significativement associés à un risque plus élevé d’exposition à la violence au sens large (en être témoin et/ou victime) étaient le mauvais état des locaux, l’origine sociale défavorisée des élèves et la forte urbanisation de la zone d’implantation de l’établissement.
L’exposition à la violence, qu’il s’agisse d’avoir été témoin uniquement ou victime directe, était associée à de moins bons indicateurs de bien-être professionnel, mais aussi de bien-être global, appuyant l’importance de la lutte contre la violence à l’école sous toutes ses formes.

La scolarisation des élèves autistes : comparaison du vécu des enseignants en milieux ordinaires et spécialisés

Émilie Boujut, Émilie Cappe

L’inclusion scolaire des élèves ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) est une source de stress chez les enseignants. Les enseignants du milieu spécialisé ont théoriquement reçu une formation spécifique et adaptée aux besoins éducatifs particuliers de ces élèves ayant un handicap. Ainsi, on peut se demander si ces enseignants adoptent des stratégies d’ajustement plus efficaces face au stress. L'objectif est de comparer l’expérience des enseignants accueillant des élèves souffrant d'un TSA, selon les différentes modalités d’accueil. Ainsi, 245 enseignants ont complété quatre échelles auto-évaluatives, mesurant le stress perçu, le soutien social perçu, les stratégies d’adaptation (coping) et l’épuisement professionnel (burn-out). Les résultats font apparaître que les enseignants spécialisés perçoivent leur enseignement comme un défi, qu'ils peuvent compter davantage sur l’aide de leurs collègues, qu'ils utilisent plus de stratégies d’adaptation centrées sur le problème ou la recherche de soutien social, et qu'ils sont moins épuisés émotionnellement que les enseignants des classes ordinaires. En conclusion, cette étude souligne une meilleure adaptation des enseignants des classes et établissements spécialisés, probablement grâce à leur formation/à leur expérience et aux conditions d’accueil aménagées.

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