Personnels
Questions communes
Obligations
Principe de neutralité – Agents contractuels de droit public – Port de signes par lesquels les agents manifestent leur appartenance religieuse – Article 9 de la C.E.D.H.
C.E.D.H., 26 novembre 2015, n° 64846/11
Mme X avait été recrutée en 1999 par contrat à durée déterminée en qualité d’agent contractuel de la fonction publique hospitalière afin d’occuper les fonctions d’assistante sociale en service de psychiatrie au sein d’un établissement public de santé.
En 2000, elle fut informée du non-renouvellement de son contrat. Cette décision était motivée par son refus d’enlever le voile qu’elle portait pour des motifs religieux et avait été prise à la suite de plaintes formulées par certains patients du centre. Elle avait été précédée d’un entretien au cours duquel lui avait été rappelée l’interdiction faite aux agents du service public de manifester leur appartenance religieuse.
L’établissement public employeur avait notamment invoqué l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 (n° 217017) qui indique que le principe de laïcité de l’État et de neutralité des services publics s’applique à l’ensemble des services publics, et qui souligne notamment que : « (…) Si les agents du service de l'enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses. »
Les différents recours formés par Mme X contre la décision de non-renouvellement de son contrat ayant été rejetés par la juridiction administrative, elle avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme, en invoquant la méconnaissance par la France de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui reconnaît le droit de manifester ses convictions religieuses et prévoit les conditions dans lesquelles des restrictions peuvent être apportées à ce droit.
La Cour a jugé que la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel constituait une base légale suffisamment sérieuse pour permettre aux autorités nationales de restreindre la liberté religieuse de la requérante.
La Cour a relevé que ces restrictions étaient énoncées avec suffisamment de clarté dans l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000, rendu plus de six mois avant la décision de ne pas renouveler le contrat de la requérante, et dont les termes lui avaient été rappelés par l’administration, pour qu’elle soit dûment informée que le refus d’ôter son voile constituait une faute l’exposant à une sanction disciplinaire.
La Cour a jugé que le non-renouvellement du contrat de la requérante était proportionné à l’objectif de protection des droits et libertés d’autrui poursuivi par l’administration, en relevant notamment que les conséquences disciplinaires du refus de la requérante de retirer son voile pendant son service avaient été appréciées par l’administration compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, et notamment de la nature et du caractère ostentatoire du signe et de la nature de ses fonctions.
Elle en a déduit qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 9 de la Convention.
N.B. : L’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 rappelle que l’ensemble des agents publics sont soumis à un devoir de neutralité, qui leur interdit de manifester leurs convictions religieuses dans le cadre de leurs fonctions.
S’agissant des agents de droit privé employés par des organismes de droit privé assurant des missions de service public, la Cour de cassation a adopté une position similaire à celle du Conseil d’État en jugeant « que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l'ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s'appliquer aux agents des caisses primaires d'assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu'ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires » (Soc., 19 mars 2013, C.P.A.M. de Seine-Saint-Denis, n° 12-11690, au Bulletin).
Rémunérations, traitement et avantages en nature
Traitement
Délai de prescription des créances des personnes publiques – Date d’émission d’un titre de perception – Trop-perçu de rémunération – Responsabilité de l’État
T.A. Paris, 9 juillet 2015, n° 1423860
Un agent avait exercé des fonctions de conseiller technique au cabinet d’un ministre jusqu’en juin 2011, puis, à compter de juillet 2011, au cabinet d’un autre membre du Gouvernement. Par un titre de perception émis le 19 novembre 2013 et contesté par ce membre de cabinet, l’administration lui avait demandé le remboursement du trop-perçu correspondant au traitement qu’il avait perçu en juillet 2011 du ministère pour lequel il avait cessé d’exercer ses fonctions en juin 2011.
1. Sur la prescription :
Le tribunal a tout d’abord rappelé qu’aux termes de l’article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dans sa rédaction issue de l’article 94 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificatives pour 2011 : « Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive (…). »
Il a ensuite indiqué qu’aux termes de l’article 2224 du code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer. »
Il a enfin cité les dispositions de l’article 2222 du même code selon lesquelles : « (…) En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. »
Le tribunal a alors considéré « que le versement indu dont le recouvrement est recherché a été effectué à la fin du mois d’août 2011, soit antérieurement au 30 décembre 2011, date d’entrée en vigueur des dispositions précitées de l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 ; que le délai de prescription de cinq ans, applicable aux créances en cause antérieurement à cette entrée en vigueur en vertu de l’article 2224 du code civil, n’avait pas expiré à cette date ; qu’ainsi, un nouveau délai de prescription de deux ans a couru à compter de la date d’entrée en vigueur, le 30 décembre 2011, des dispositions de l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 ».
Il a donc jugé « que (…), à la date d’émission du titre de perception contesté, le 19 novembre 2013, le délai de prescription, qui expirait le 30 décembre 2013, n’était pas dépassé ».
2. Sur la responsabilité de l’État :
Le tribunal a considéré « que le trop-perçu de rémunération trouve son origine dans un changement de situation de l’intéressée qui ne pouvait être anticipé par les services gestionnaires de la paie, et non dans une carence fautive de l’administration ».
Il a alors jugé « qu’en l’absence d’illégalité ou de gestion fautive, la responsabilité de l’État ne peut être engagée (…) ; [et] que les conclusions de [la requérante] qui, se référant à la jurisprudence du Conseil d’État n° 314907 du 16 décembre 2009 [aux tables du Recueil Lebon] (…), doit être regardée comme demandant sur ce fondement la réduction totale ou partielle des sommes mises à sa charge, ne peuvent qu’être rejetées ».
N.B. : Ainsi que l’a rappelé le tribunal dans son jugement, l’article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 prévoit que l’administration peut recouvrer une créance résultant de rémunérations indument versées à ses agents dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné.
En créant cette disposition dans la loi du 12 avril 2000, l’article 94 de la loi du 28 décembre 2011 a réduit à deux ans le délai de prescription extinctive en ce qui concerne les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents publics. En effet, avant cette loi, le délai de prescription applicable en la matière était celui de droit commun fixé à cinq ans par l’article 2224 du code civil.
Pour les créances nées, comme en l’espèce, avant le 30 décembre 2011, date d’entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011, l’article 2222 du code civil était applicable : il prévoit que le nouveau délai de prescription de deux ans court à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011 sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée de cinq ans antérieurement prévue.
Ainsi que le précise la circulaire du ministre de l’économie et des finances du 11 avril 2013 relative au délai de la prescription extinctive concernant les créances résultant de paiements indus effectués par les services de l’État en matière de rémunération de leurs agents, « l’entrée en vigueur de la nouvelle règle de prescription entraîne la fin du délai en cours et en ouvre un nouveau de deux ans. Cependant, le délai de prescription total (délai écoulé avant l’entrée en vigueur de la nouvelle règle additionné au nouveau délai de deux ans) ne peut dépasser cinq ans ».
En l’espèce, l’application du délai de deux ans à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011, soit le 30 décembre 2011, a eu pour conséquence que la créance était prescrite le 30 décembre 2013, sans que l’addition de ce délai de deux ans et de celui s’étant écoulé en 2011 à partir de la date du paiement erroné jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2011 n’excède la durée de cinq ans prévue par l’article 2224 du code civil antérieurement applicable.
L’apport du jugement du 9 juillet 2015 du tribunal administratif de Paris tient à la date à prendre en compte pour apprécier si le délai de prescription a été ou non interrompu par l’intervention d’une action en recouvrement de l’administration. À cet égard, le tribunal a retenu la date d’émission du titre, en novembre 2013, et non pas celle de sa notification, en janvier 2014, pour juger que le délai de prescription expirant le 30 décembre 2013 n’était pas dépassé.
Ce raisonnement peut être rapproché de celui par lequel il a été jugé, en matière de retrait des actes administratifs, que la circonstance qu’une décision de retrait a été notifiée après l’expiration du délai de quatre mois imparti à l’administration pour procéder à un tel retrait est sans incidence sur la légalité de la décision de retrait dès lors que cette dernière a été prise avant l’expiration de ce même délai de quatre mois (cf. C.E. Section, 21 décembre 2007, Société Brétim, n° 285515, au Recueil Lebon).
Le jugement du 9 juillet 2015 présente un second intérêt en matière de responsabilité de l’État au regard de la décision susmentionnée (n° 314907) du 16 décembre 2009 que cite le tribunal, par laquelle le Conseil d’État avait réduit le montant d’un titre de perception à raison d’une faute commise par l’administration qui, par sa carence, avait prolongé pendant plusieurs années la perception indue d’une indemnité par un agent.
En l’espèce, le litige se présentait toutefois différemment dans la mesure où le maintien, non prolongé mais circonscrit à un seul mois, de la rémunération de l’agent ne résultait pas d’une carence de l’administration, mais d’un changement dans sa situation professionnelle, qui résultait d’un remaniement ministériel que l’administration ne pouvait anticiper et prendre en compte dans le cadre des opérations de paye préparées en amont. Dans ces conditions, l’administration était tenue de procéder, a posteriori, à la régularisation de la situation de l’agent par l’émission d’un titre de perception.
Retenues pour absence de service fait
Retenues sur traitement pour absence de service fait – Obligation de motivation (absence)
C.E., 2 novembre 2015, n° 372377, aux tables du Recueil Lebon
M. X, secrétaire administratif placé en congé de maladie ordinaire début janvier 2011, avait cessé d’envoyer à partir du 1er février 2012 à la maison d’arrêt de Y, son employeur, tout justificatif d’absence, en particulier tout certificat médical. En l’absence de réponse à la demande de régularisation qu’elle lui avait adressée, l’administration pénitentiaire avait pris une décision de retenue sur traitement à compter du 1er février, que l’intéressé avait contestée en vain devant le tribunal administratif de Strasbourg.
M. X avait formé un pourvoi contre le jugement : il soutenait notamment que le tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que la décision de retenue sur traitement pour service non fait n’était pas au nombre des décisions qui doivent être motivées en application de la loi n° 79- 587 du 11 juillet 1979 ou d’un texte spécial.
Le Conseil d’État a jugé que, sauf dans le cas où elle révèlerait par elle-même un refus opposé à une demande tendant à la reconnaissance d'un droit à rémunération malgré l'absence de service fait, la décision par laquelle l'autorité administrative, lorsqu'elle liquide le traitement d'un agent, procède à une retenue pour absence de service fait, au titre du 1° de l’article 4 de la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961, constitue une mesure purement comptable, qui n'a pas le caractère d'une décision refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit au sens de l’article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979. Elle n'a donc pas à être motivée.
N.B. : La réserve apportée ici par le Conseil d’État concerne l’hypothèse où la décision de retenue sur traitement peut être regardée comme révélant par elle-même un refus opposé à une demande tendant à la reconnaissance d’un droit.
Il en va ainsi, par exemple, lorsqu’un agent a entendu exercer le droit de retrait prévu à l’article 5-6 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique.
Dans une telle hypothèse, une décision de retenue sur salaire prise à l’encontre d’un agent qui a entendu exercer ce droit alors que la condition de danger grave et imminent pour la vie ou la santé n’était en réalité pas remplie est au nombre des décisions qui refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit et qui doivent donc être motivées (cf. C.E., 18 juin 2014, Ministre de l'éducation nationale c/ Mme X et autres, n° 369531, aux tables du Recueil Lebon).
Questions propres aux agents affectés dans les / originaires des DOM/ROM/COM
Prime spécifique d’installation – Première affectation en métropole – Année de stage dans une école de fonctionnaires
C.E., 7 octobre 2015, n° 369388, aux tables du Recueil Lebon
Le premier alinéa de l’article 1er du décret n° 2001-1225 du 20 décembre 2001 institue « une prime spécifique d’installation pour les fonctionnaires de l’État et les magistrats, titulaires ou stagiaires, affectés dans un département d’outre-mer ou à Mayotte, qui reçoivent une première affectation en métropole à la suite d’une mutation ou d’une promotion s’ils y accomplissent une durée minimale de quatre années consécutives de services ».
Intégré dans le corps des maîtres de conférences à la suite de son affectation dans une université métropolitaine, M. X, précédemment affecté en Outre-mer en tant que professeur certifié, avait demandé à bénéficier de cette prime spécifique d’installation (P.S.I.). Son nouvel établissement d’affectation lui en avait refusé le bénéfice au motif qu’il ne s’agissait pas de sa première affectation en métropole puisqu’il avait antérieurement effectué une année de formation en tant que professeur certifié stagiaire dans un institut universitaire de formation des maîtres (I.U.F.M.) d’Île-de-France.
Cette position avait été confortée, en première instance, par un jugement du tribunal administratif de Paris que le Conseil d’État a annulé pour erreur de droit.
Après avoir cité les dispositions précitées de l’article 1er du décret du 20 décembre 2001 et celles de l’article 24 du décret n° 72-581 du 4 juillet 1972 relatif au statut particulier des professeurs certifiés, aux termes desquelles : « Les candidats reçus aux concours (…) accomplissent en qualité de professeur stagiaire le stage mentionné aux articles 6 et 11 ci-dessus. Au cours de l’année de stage, les professeurs stagiaires (...) sont soumis aux épreuves de l’examen de qualification professionnelle (…) dont les modalités sont fixées par arrêté du ministre de l’éducation », le Conseil d’État a jugé que la formation théorique et pratique d’un an reçue en I.U.F.M., « dès lors qu’elle n’intervient pas à la suite d’une mutation ou d’une promotion et qu’elle ne se traduit pas par une affectation sur un poste, ne peut être regardée, par elle-même, comme une "première affectation" au sens de l’article 1er du décret du 20 décembre 2001 ».
N.B. : Le pourvoi en cassation dont était saisi le Conseil d’État posait la question de savoir si une année de formation dans une école de fonctionnaires devait être regardée comme constitutive d’une première affectation, au sens de l’article 1er du décret du 20 décembre 2001.
La réponse du Conseil d’État repose sur une lecture littérale des dispositions de l’article 1er du décret du 20 décembre 2001 : dès lors que l’année de stage effectuée dans un I.U.F.M. de métropole n’intervient pas à la suite d’une mutation ou d’une promotion et qu’elle ne se traduit pas par une « affectation sur un poste », elle ne peut être regardée, par elle-même, comme une première affectation au sens de l’article 1er de ce décret, à la différence, par exemple, d’une année de stage qui aurait été accomplie en situation professionnelle après une affectation sur un poste.
La solution adoptée par le Conseil d’État dans la décision commentée paraît ainsi pouvoir être transposée aux personnels stagiaires effectuant leur formation dans une école supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE). En effet, cette formation, qui alterne des périodes de mise en situation professionnelle dans un établissement scolaire et des périodes de formation au sein de l’ESPE, ne se traduit pas par une affectation sur un poste que le fonctionnaire stagiaire a vocation à occuper au terme de son stage.
Discipline
Procédure
Délai pour exercer des poursuites disciplinaires (absence) – Choix de la sanction
T.A. Nîmes, 18 juin 2015, n° 1302153
Par correspondance du 11 décembre 2009, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nîmes avait informé l’administration de l’éducation nationale de la mise en examen de M. X, personnel de direction d’établissement d’enseignement, pour captation puis diffusion, en utilisant un réseau de communications électroniques, d’images à caractère pornographique de mineurs.
L’intéressé avait été immédiatement suspendu de ses fonctions sur le fondement de l’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, par arrêté ministériel du 14 décembre 2009.
Par un jugement rendu le 18 novembre 2011 par le tribunal de grande instance de Nîmes, confirmé par un arrêt rendu le 23 octobre 2012 par la cour d’appel de Nîmes, M. X avait été déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et avait été condamné à une peine de quinze mois d’emprisonnement, assortie d’un sursis.
Par arrêté ministériel du 11 mars 2013, la sanction de la mise à la retraite d’office avait été prononcée à l’encontre de ce personnel, aux motifs, notamment, que les faits établis et sanctionnés par le juge pénal constituaient un manquement grave au devoir de moralité attendu d’un chef d’établissement, qu’ils mettaient gravement en cause l’exemplarité attendue d’un responsable du service public de l’éducation nationale, qu’ils étaient incompatibles avec l’exercice de ses fonctions et qu’ils étaient de nature à porter atteinte aux valeurs du service public de l’éducation et à la réputation du corps des personnels de direction.
Par un jugement rendu le 18 juin 2015, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de M. X tendant à l’annulation de cette sanction.
À l’appui de sa demande, M. X invoquait la méconnaissance d’un prétendu principe général du droit qui aurait, selon lui, interdit à l’administration de sanctionner le comportement fautif de ses agents au-delà d’un délai raisonnable à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance des fautes.
Conformément à une jurisprudence constante, le tribunal a écarté ce moyen au motif qu’« aucun texte ni aucun principe général du droit n’enferme dans un délai déterminé l’exercice de l’action disciplinaire à l’égard d’un fonctionnaire » (cf. aussi C.E., 14 juin 1991, n° 86294, aux tables du Recueil Lebon).
Il en a conclu que « [le requérant] n’est, dès lors, pas fondé à soutenir que la sanction en litige serait illégale pour méconnaître un “principe général du droit répressif” imposant à l’autorité administrative de respecter un délai raisonnable entre la date à laquelle elle a eu connaissance des faits qui lui ont été reprochés et celle à laquelle elle a décidé d’engager des poursuites disciplinaires à son encontre ou prononcé la sanction » (cf. également C.E., 12 mars 2014, n° 367260).
Sur le choix de la sanction, dont M. X alléguait la disproportion, le tribunal a rappelé qu’« il appartient au juge administratif, saisi d’une demande tendant à l’annulation d’une sanction prononcée pour des faits anciens, d’apprécier, eu égard notamment au temps écoulé depuis que la faute a été commise, à la nature et à la gravité de celle-ci et au comportement ultérieur de l’agent, si la sanction prononcée présente un caractère proportionné » (cf. aussi C.E., 27 juillet 2009, n° 313588, Ministre de l’éducation nationale, au Recueil Lebon ; C.E., n° 367260, susmentionné).
En l’espèce, le tribunal a considéré que la sanction déférée à sa censure n’apparaissait pas disproportionnée, aux motifs énoncés dans le considérant suivant :
« Considérant que, pour prendre la sanction de mise à la retraite d’office, le ministre de l’éducation nationale s’est fondé sur le fait que l’intéressé avait été condamné le 18 novembre 2011 par la cour d’appel de Nîmes à quinze mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir durant les années 2007 à 2009 créé un blog constitué de photos ou d’images de mineurs présentant un caractère pornographique, qu’il avait importées et modifiées et qui étaient, pour certaines, en relation avec l’enseignement ; que ce blog était alimenté à partir d’un réseau d’ordinateurs, dont un appartenant à l’éducation nationale, connectés sur une adresse I.P. [Internet Protocol] attribuée à l’inspection académique ; que les faits établis dans l’arrêt de la cour d’appel (…) révèlent, eu égard à la nature des fonctions et aux obligations qui incombent aux chefs d’établissement en leur qualité de garant d’un établissement scolaire, une faute d’une particulière gravité de nature à porter une atteinte inacceptable à la réputation du service public de l’éducation nationale ; qu’il s’ensuit que la sanction disciplinaire de mise à la retraite d’office, qui ne prive pas l’intéressé de trouver un emploi, n’apparaît pas disproportionnée au regard de la gravité des fautes commises, alors même que M. X s’estime rétabli de sa déviance au terme de son suivi psychologique, que quatre ans se sont passés depuis les faits et que n’ayant pas été reconnu comme présentant un danger pour les mineurs par la juridiction judiciaire ni même par ses collègues, il pourrait exercer d’autres fonctions au sein d’un service déconcentré ».
Fautes
Action contentieuse formée contre l'État par un gestionnaire d'établissement scolaire dans l’intérêt de l'établissement – Absence d’information préalable du chef d’établissement et du conseil d’administration – Faute disciplinaire
T.A. Paris, 22 avril 2015, n° 1306748
M. X, gestionnaire d’un lycée, avait formé un recours indemnitaire tendant à la condamnation de l’État à verser à ce lycée la même somme que celle à laquelle cet établissement avait, en vertu d’un arrêt de la cour d’appel de Paris, été condamné à payer sur ses fonds propres à un ancien salarié en contrat aidé. Estimant que l’introduction d’une telle requête était constitutive d’une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire, le recteur de l’académie de Paris avait infligé un blâme à M. X.
L’intéressé demandait au tribunal administratif l’annulation de cette décision.
Le tribunal administratif de Paris a d’abord rappelé « qu’il résulte des dispositions [des articles R. 421-8 et suivants] du code de l’éducation qu’il n’appartenait qu’au chef d’établissement, préalablement autorisé par le conseil d’administration, d’exercer une telle action en justice, et non au gestionnaire de l’établissement, alors même que celui-ci est membre du conseil d’administration ».
Il a également relevé « que la requête de M. X a d’ailleurs été rejetée, pour ce motif, comme irrecevable par jugement en date du 22 janvier 2014 ».
Après avoir constaté « que M. X n’avait pas informé le chef d’établissement, sous l’autorité duquel il était placé, ni le conseil d’administration, de son initiative », le juge a estimé « qu’en agissant de la sorte, et quels que soient les documents qu’il ait pu produire à l’appui de son recours, M. X a commis une faute de nature à justifier une sanction, alors même que les faits en cause ne sont pas constitutifs d’un manquement à l’obligation de neutralité du fonctionnaire ou n’ont pas eu pour effet de jeter le discrédit sur l’administration rectorale ».
Le tribunal administratif a enfin jugé « qu’(…) il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction du blâme infligée à M. X présenterait, eu égard à la nature ou à la gravité des faits en cause, un caractère disproportionné » et a donc rejeté la requête.
N.B. : De manière générale, le non-respect par un agent public de la voie hiérarchique dans l’exercice de ses fonctions, laquelle est en lien étroit avec les devoirs d’obéissance hiérarchique et de loyauté, peut, en fonction des circonstances de l’espèce, constituer une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire (cf. C.A.A. Paris, 9 juillet 2009, n° 07PA04652).
Questions propres aux agents non titulaires
Agent non titulaire – Classement lors du recrutement
C.A.A. Paris, 26 mai 2015, Ministre de l’éducation nationale, n° 14PA04390
M. X, recruté en qualité de professeur contractuel à partir de 1998 par des contrats à durée déterminée régulièrement renouvelés jusqu’en 2005, date à laquelle il avait obtenu un contrat à durée indéterminée, avait demandé au tribunal administratif de Melun l’annulation de la décision par laquelle le recteur de l’académie de Créteil avait rejeté sa demande de classement dans la première catégorie des professeurs contractuels à compter du 1er septembre 1998, ainsi que la revalorisation correspondante de sa rémunération.
Le tribunal administratif de Melun avait annulé la décision rectorale et enjoint à l’administration de revaloriser la rémunération de M. X sur la base d’un classement en première catégorie à l’indice nouveau majoré 466 à compter du 1er septembre 1998 dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Il avait estimé que bien qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne précise les conditions dans lesquelles le diplôme détenu par l’agent doit être pris en compte pour le classement dans les différentes catégories de professeurs contractuels, le recteur avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ne classant pas M. X, docteur en sciences physiques, en première catégorie à la date de son recrutement.
Il avait par ailleurs estimé que, le requérant n’ayant eu connaissance qu’en 2009 des modalités de classement des professeurs contractuels, il pouvait être légitimement regardé comme ayant ignoré l’existence de sa créance jusqu’à cette date et qu’ainsi, la prescription n’était pas acquise.
L’administration avait interjeté appel de ce jugement.
La cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement et rejeté la demande de l’intéressé, considérant « que M. X ne saurait se prévaloir de la grille de rémunération des professeurs contractuels dans l’académie de Créteil, prévoyant que les titulaires d’un doctorat sont recrutés au 3e échelon de la 1re catégorie, qui ne revêt aucun caractère réglementaire, et ne saurait utilement établir une comparaison entre la rémunération des professeurs contractuels de 1re catégorie et la rémunération des professeurs titulaires dès lors que ces deux catégories d’enseignants sont dans une situation statutaire différente ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en recrutant M. X au 1er échelon de la 2e catégorie, à l’indice nouveau majoré 362, soit entre l’indice de recrutement des professeurs certifiés et celui des professeurs agrégés, et nonobstant la circonstance que M. X soit docteur en sciences physiques, diplôme dont, au demeurant, des professeurs titulaires peuvent être titulaires sans que leur rémunération en soit augmentée, le recteur de l’académie de Créteil ait entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation ».
N.B. : L’administration a le pouvoir de fixer, sous le contrôle du juge, la rémunération des agents non titulaires qu’elle recrute, en prenant en compte principalement la rémunération accordée aux agents titulaires de niveau équivalent et, à titre accessoire, d’autres critères tels que le diplôme ou l’expérience professionnelle (cf. C.E., 28 juillet 1995, Préfet du Val-d’Oise, n° 168605, au Recueil Lebon).
Le Conseil d’État a en effet jugé que, en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires relatives à la fixation de la rémunération des agents non titulaires, l’autorité compétente dispose d’une large marge d’appréciation pour déterminer, en tenant compte notamment des fonctions confiées à l’agent et de la qualification requise pour les exercer, le montant de la rémunération ainsi que son évolution et qu’il appartient au juge, saisi d’une contestation en ce sens, de vérifier qu’en fixant ce montant, l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation (C.E., 30 décembre 2013, n° 348057, aux tables du Recueil Lebon).
Questions propres aux personnels de l’enseignement universitaire
Enseignants-chercheurs
Questions communes
Question prioritaire de constitutionnalité – Procédure de qualification des enseignants-chercheurs – Égalité d’accès aux emplois publics – Conformité à la Constitution
C.E., 21 septembre 2015, n° 391314
Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision de rejet d’une candidature à la qualification aux fonctions de maître de conférences par le Conseil national des universités (C.N.U.), un requérant avait soumis au tribunal administratif de Paris une question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article L. 952-6 du code de l’éducation relatif à cette procédure de qualification, ainsi que du premier alinéa de l’article L. 952-6-1 du même code.
Le tribunal avait transmis cette Q.P.C. au Conseil d’État afin qu’il statue sur la transmission de cette question au Conseil constitutionnel.
Le requérant soutenait que les dispositions contestées méconnaissaient le principe d’égal accès aux emplois publics garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
Le premier alinéa de l’article L. 952-6 du code de l’éducation dispose que : « Sauf dispositions contraires des statuts particuliers, la qualification des enseignants-chercheurs est reconnue par une instance nationale. »
Le Conseil d’État a considéré « que (…) ces dispositions (…) ont pour seul objet d’imposer qu’une même instance nationale apprécie la qualification de l’ensemble des enseignants-chercheurs ; [qu’ainsi, elles] ne peuvent être regardées comme privant de garanties légales les exigences qui résultent du principe d’égalité d’accès aux emplois publics ».
Il a ainsi jugé que, en ce qu’elle portait sur ces dispositions, la Q.P.C. soulevée qui, au demeurant, n’était pas nouvelle ne présentait donc pas de caractère sérieux.
Le premier alinéa de l’article L. 952-6-1 du code de l’éducation dispose quant à lui que : « Sous réserve des dispositions statutaires relatives à la première affectation des personnels recrutés par concours national d’agrégation d’enseignement supérieur et des dérogations prévues par les statuts particuliers des corps d’enseignants-chercheurs ou par les statuts des établissements, lorsqu’un emploi d’enseignant-chercheur est créé ou déclaré vacant, les candidatures des personnes dont la qualification est reconnue par l’instance nationale prévue à l’article L. 952-6 sont soumises à l’examen d’un comité de sélection créé par délibération du conseil académique ou, pour les établissements qui n’en disposent pas, du conseil d’administration siégeant en formation restreinte aux représentants élus des enseignants-chercheurs, des chercheurs et des personnels assimilés. »
Le Conseil d’État a considéré « que ces dispositions concernent le recrutement (…) d’enseignants-chercheurs ayant déjà fait l’objet d’une qualification par [le C.N.U.] ; que le litige soulevé par M. X devant le tribunal administratif de Paris ayant trait au refus du Conseil national des universités de l’inscrire sur la liste des personnes qualifiées aux fonctions de maître de conférences et non à son recrutement sur un poste ouvert dans un établissement d’enseignement supérieur, ces dispositions ne lui sont par conséquent pas applicables ».
Le Conseil d’État a donc décidé de ne pas transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le requérant.
Concours de recrutement d’un professeur des universités – Droit de veto des directeurs des établissements d’enseignement supérieur et de recherche – Motivation insuffisante – Erreur d’appréciation
C.E., 30 septembre 2015, n° 372281 et n° 372727
Un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (E.P.S.C.P.) avait mis au concours un poste de professeur des universités inscrit dans la 24e section du Conseil national des universités (C.N.U.) : « Aménagement de l’espace, urbanisme ». Le comité de sélection de cet E.P.S.C.P. avait transmis une liste de candidats classés au conseil d’administration qui l’avait adoptée.
M. X, titulaire d’une qualification aux fonctions de professeur des universités délivrée par la 24e section du C.N.U., avait vu sa candidature classée en seconde position sur la liste établie par le comité de sélection et validée par le conseil d’administration. Toutefois, la candidate classée en première position par le comité de sélection avait fait part de son intention d’accepter un poste de professeur des universités pour lequel elle avait également été placée en première position dans un autre établissement.
Par une première décision, le directeur de l’établissement avait émis un avis défavorable à la transmission au ministre de la liste établie par le comité de sélection, au motif que les profils des candidats retenus par le comité de sélection étaient en inadéquation avec la stratégie d’ancrage régional de l’établissement.
À la suite de la suspension de l’exécution de cette décision par le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, le directeur de l’E.P.S.C.P. avait émis un nouvel avis défavorable motivé par l’inadéquation entre le profil du poste publié et les besoins pédagogiques de l’établissement, particulièrement en géographie et en aménagement du territoire.
M. X avait alors demandé au Conseil d’État, par une requête enregistrée sous le numéro 372281, d’annuler cette seconde décision et d’enjoindre au directeur de l’E.P.S.C.P. de transmettre la liste au ministre.
Le Conseil d’État avait, entre-temps, également été saisi par M. X d’une demande d’annulation du premier avis défavorable du directeur de l’E.P.S.C.P., enregistrée sous le numéro 372727.
Sur le premier avis défavorable, le Conseil d’État a tout d’abord rappelé les dispositions de l’article L. 712-2 du code de l’éducation, dans leur rédaction en vigueur à l’époque des faits, selon lesquelles : « (…) Sous réserve des dispositions statutaires relatives à la première affectation des personnels recrutés par concours national d’agrégation de l’enseignement supérieur, aucune affectation ne peut être prononcée si le président [d’un E.P.S.C.P.] émet un avis défavorable motivé (…). »
Toutefois, il a relevé qu’en fondant son avis défavorable « sur l’absence d’adéquation de [la] liste [établie par le comité de sélection] avec la stratégie générale "d’ancrage territorial par la recherche" mentionnée dans le préambule du contrat d’établissement 2012-2016 conclu avec le ministère de l’enseignement supérieur, [le directeur] [n’a] pas [précisé] le contenu exact de cette exigence et n’[a] pas [expliqué] en quoi les profils des candidats figurant sur la liste ne correspond[aient] pas à cet objectif stratégique ».
Le Conseil d’État a alors jugé « qu’une telle motivation ne permet (…) pas aux candidats de connaître les raisons du refus de communiquer au ministre la liste sur laquelle ils figurent ».
Sur le second avis défavorable, le Conseil d’État a retenu « qu’il ressort des pièces du dossier que le profil publié (…) pour le poste en litige comportait de nombreuses précisions sur les compétences et qualités pédagogiques requises, en soulignant notamment l’importance des thématiques relatives aux transports, à la mobilité et à l’action publique, ainsi que de celles touchant à l’aménagement des territoires régionaux, nationaux ou internationaux ; qu’ainsi, le nouvel avis défavorable opposé par le directeur (…) ne pouvait légalement se fonder sur un motif tiré (…) de ce que le profil était insuffisamment défini et ne permettait pas de comprendre les besoins et priorités pédagogiques de l’établissement ».
Par voie de conséquence, le Conseil d’État a annulé les deux avis défavorables émis par le directeur de l’établissement. Il a précisé « que (…) l’exécution de [sa] décision n’implique pas nécessairement, en revanche, [que le directeur] communique [la] liste au ministre », mais seulement qu’il rende un nouvel avis.
N.B. : La loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a retiré aux présidents et directeurs des établissements la possibilité d’émettre un avis défavorable sur le recrutement des enseignants-chercheurs.
Cette possibilité est désormais réservée, en vertu de l’article L. 712-3 du code de l’éducation, au conseil d’administration de l’établissement siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés.
La jurisprudence du Conseil d’État sur la motivation des avis rendus par les chefs d’établissement est toutefois transposable aux avis désormais rendus par les conseils d’administration en la matière.
Le Conseil d’État a, sur ce sujet, élaboré une jurisprudence conforme à celle du Conseil constitutionnel, qui estime que le veto d’un président d’université ne peut se fonder « sur des motifs étrangers à l’administration de l’université et, en particulier, sur la qualification scientifique des candidats retenus à l’issue de la procédure de sélection » (Cons. const., 6 août 2010, n° 2010-20/21 QPC).
Cette obligation était également valable pour les conseils d’administration, auxquels ont succédé dans cette compétence les conseils académiques créés par la loi du 22 juillet 2013, qui ne pouvaient fonder leur refus d’adopter la liste du comité de sélection que sur le motif de l’inadéquation des candidatures avec la stratégie de l’établissement (cf. C.E., 15 décembre 2010, Syndicat national de l'enseignement supérieur-F.S.U., n° 316927, au Recueil Lebon).
Les causes de cette inadéquation doivent cependant être expliquées de façon suffisamment claire et exhaustive, et non en se référant de manière générale à la seule stratégie de l’établissement.
(Cf. LIJ n° 185, novembre 2014 : « Le point sur le cadre juridique de l’intervention des instances et autorités des établissements d’enseignement supérieur dans la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs ».)
Établissements d'enseignement privés
Relations avec l'État
Question prioritaire de constitutionnalité – Taxe d’apprentissage – Établissements habilités à percevoir des versements libératoires au titre de la fraction « hors quota » – Principe d’égalité devant la loi et les charges publiques – Liberté de l’enseignement – Liberté d’entreprendre
Cons. const., 21 octobre 2015, n° 2015-496 QPC
Le Conseil constitutionnel avait été saisi par le Conseil d’État (C.E., 22 juillet 2015, Fondation pour l'école et autres, n° 387472) d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 6241-9 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’article 19 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.
Cet article énumère les établissements habilités à percevoir les versements libératoires effectués par les entreprises au titre de la fraction dite « hors quota » de la taxe d’apprentissage, versements qui correspondent aux « dépenses réellement exposées afin de favoriser les formations technologiques et professionnelles dispensées hors du cadre de l’apprentissage » (1° de l’article L. 6241-8 du code du travail).
Les requérants soutenaient qu’en privant certains établissements d’enseignement privés de l’habilitation à percevoir de tels versements, les dispositions législatives contestées méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques (cf. infra : 1) et portaient atteinte aux libertés de l’enseignement et d’entreprendre (2).
1. Sur l’atteinte au principe d’égalité :
Le Conseil constitutionnel a rappelé le considérant de principe selon lequel « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
Il a poursuivi en rappelant un autre considérant de principe « [tiré de ce] que, pour assurer le respect du principe d’égalité devant les charges publiques, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».
Au cas d’espèce, le Conseil constitutionnel a tout d’abord rappelé le sens et la portée de l’article L. 6241-9 du code du travail, en indiquant « qu’en énumérant de manière limitative les établissements habilités à percevoir les versements libératoires effectués au titre de la fraction dite du "hors-quota" de la taxe d’apprentissage, le législateur a entendu favoriser l’affectation de ressources publiques destinées à financer des formations technologiques et professionnelles dispensées en formation initiale hors du cadre de l’apprentissage aux établissements publics d’enseignement secondaire et d’enseignement supérieur, à ceux qui sont gérés par les chambres consulaires, auxquelles le législateur a donné la faculté de créer et d’administrer des établissements d‘enseignement, aux établissements publics ou privés dispensant des formations conduisant aux diplômes professionnels délivrés par les ministères chargés de la santé, des affaires sociales, de la jeunesse et des sports, aux établissements privés d’enseignement du second degré sous contrat d’association avec l’État, à ce titre soumis à des obligations et à un contrôle particuliers tant sur le programme que sur les règles d’enseignement, et aux établissements privés relevant de l’enseignement supérieur gérés par des organismes à but non lucratif ».
Puis il a considéré « que les établissements d’enseignement qui relèvent de l’une des catégories énumérées [à] l’article L. 6241-9 du code du travail sont, soit en raison de leur statut, soit en raison de leur mode de gestion, soit en raison de leurs obligations pédagogiques et des contrôles qui s’y rattachent, dans une situation différente de celle des autres établissements d’enseignement ; qu’en outre, la disposition en cause ne permet, pour les écoles et établissements habilités, que la perception éventuelle de moyens de financement de certains frais ».
Il en a conclu « que l’exclusion des établissements privés d’enseignement non habilités à percevoir la part de la taxe d’apprentissage correspondant aux dépenses mentionnées au 1° de l’article L. 6241-8 du code du travail est fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec l’objet de la loi et en fonction des buts qu’elle se propose ; qu’il n’en résulte [donc] pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».
2. Sur l’atteinte à la liberté de l’enseignement et à la liberté d’entreprendre :
Le Conseil constitutionnel a tout d’abord rappelé que « la liberté de l’enseignement constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmé par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ».
Il a, par ailleurs, rappelé un autre considérant de principe selon lequel « il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ».
Au cas d’espèce, procédant à une analyse combinée des deux griefs tirés de l’atteinte à la liberté de l’enseignement et à la liberté d’entreprendre, le Conseil constitutionnel a considéré « que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au caractère propre de l’enseignement privé ; [et] qu’elles n’ont pas pour effet, en elles-mêmes, d’empêcher de créer, de gérer ou de financer un établissement privé d’enseignement ».
Il en a déduit « que l’exclusion de la possibilité pour les établissements privés d’enseignement qui ne relèvent d’aucune des catégories énumérées à l’article L. 6241-9 du code du travail de percevoir certaines ressources publiques n’est pas de nature à porter atteinte à la liberté de l’enseignement ou à la liberté d’entreprendre ».
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré les dispositions de l’article L. 6241-9 du code du travail conformes à la Constitution.
N.B. : Le commentaire de cette décision n° 2015-496 QPC du 21 octobre 2015, en ligne sur le site internet du Conseil constitutionnel, présente l’historique et le contexte des dispositions contestées, l’origine de la question prioritaire de constitutionnalité, ainsi qu’un état des lieux de la jurisprudence constitutionnelle relative aux principes d’égalité, de liberté de l’enseignement et de liberté d’entreprendre et son application à l’espèce.
En complément de ces éléments, il convient de souligner que, par cette décision, le Conseil constitutionnel a jugé que les établissements habilités par l’article L. 6241-9 du code du travail à percevoir la fraction dite « hors quota » de la taxe d’apprentissage se trouvent dans une situation différente des autres établissements.
À cet égard, il a notamment rappelé que les établissements privés d’enseignement du second degré sous contrat d’association avec l’État, qui figurent parmi les établissements habilités, sont soumis à des obligations et à un contrôle particulier tant sur le programme que sur les règles d’enseignement. Les articles L. 442-5 et L. 442-1 du code de l’éducation prévoient en effet, respectivement, que « dans les classes faisant l’objet d’un contrat, l’enseignement est dispensé selon les règles et programmes de l’enseignement public » et que « l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État ».
La situation de ces établissements sous contrat diffère ainsi de celle des établissements hors contrat qui ne sont pas soumis à un tel contrôle (cf. C.E., 3 septembre 2009, Association Créer son école et autres, n° 314164, aux tables du Recueil Lebon).
Le Conseil constitutionnel a également admis la constitutionnalité de la distinction opérée par l’article L. 6241-9 entre les établissements privés relevant de l’enseignement supérieur gérés par des organismes à but non lucratif, qui sont habilités à percevoir la part « hors quota » de la taxe d’apprentissage, et les établissements à but lucratif qui ne le sont pas.
Cette distinction est d’ailleurs l’élément objectif qui permet à un établissement à but non lucratif concourant aux missions de service public de l’enseignement supérieur de demander à être reconnu par l’État en tant qu’établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général et à conclure avec l’État un contrat pluriannuel d’établissement (cf. articles L. 732-1 et L. 732-2 du code de l’éducation).
Relations avec les collectivitÉs territoriales
Principe de parité de financement entre l'enseignement public et l'enseignement privé sous contrat – Participation financière de la commune de résidence pour un élève scolarisé dans une autre commune – Établissement d'enseignement privé sous contrat d'association
C.A.A. Marseille, 27 mai 2015, OGEC Cours Maintenon, n° 14MA03833
Une école primaire privée sous contrat d'association avait accueilli durant l'année scolaire 2011-2012 trois enfants qui résidaient dans une autre commune et dont un frère était scolarisé dans un établissement scolaire du second degré situé dans la même commune que cette école primaire privée.
L'organisme de gestion de l'école privée (OGEC) avait demandé la condamnation de la commune de résidence de la famille à lui verser la somme de 1 560 euros au titre de la participation financière à la scolarisation des trois enfants inscrits dans son école du premier degré.
La commune de résidence se prévalait de ce que la participation aux frais de scolarisation d’un enfant dans une école publique d’une autre commune que celle de résidence n’est obligatoire, en application des dispositions de l’article R. 212-21 du code de l’éducation, que dans le cas où un membre de sa fratrie est scolarisé dans un établissement scolaire du premier degré. En d’autres termes, elle soutenait que les règles de participation financière des communes à la scolarisation des enfants dans une école privée sous contrat sont les mêmes que lorsque les enfants sont scolarisés dans une école publique.
L’organisme requérant soutenait au contraire que, par application des dispositions de l’article L. 442-5-1 du code de l’éducation, la participation financière de la commune de résidence à la scolarisation d’un enfant inscrit dans une autre commune s’impose, que le membre de la fratrie soit scolarisé dans le premier ou le second degré, et que, par suite, l’article R. 212-21 ne trouvait pas à s’appliquer aux établissements d’enseignement privés sous contrat.
L’article L. 212-8 du code de l’éducation prévoit que : « Lorsque les écoles maternelles, les classes enfantines ou les écoles élémentaires publiques d'une commune reçoivent des élèves dont la famille est domiciliée dans une autre commune, la répartition des dépenses de fonctionnement se fait par accord entre la commune d'accueil et la commune de résidence. (…) À défaut d'accord entre les communes intéressées sur la répartition des dépenses, la contribution de chaque commune est fixée par le représentant de l'Etat dans le département après avis du conseil départemental de l'éducation nationale. (…) Toutefois, les dispositions prévues par les alinéas précédents ne s'appliquent pas à la commune de résidence si la capacité d'accueil de ses établissements scolaires permet la scolarisation des enfants concernés (…). Par dérogation à l’alinéa précédent, un décret en Conseil d'État précise les modalités selon lesquelles, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, une commune est tenue de participer financièrement à la scolarisation d'enfants résidant sur son territoire lorsque leur inscription dans une autre commune est justifiée par des motifs tirés de contraintes liées : (…) 2° À l'inscription d'un frère ou d'une sœur dans un établissement scolaire de la même commune (…). »
L’article R. 212-21 du code de l’éducation, pris pour l’application des dispositions précitées, prévoit que : « La commune de résidence est tenue de participer financièrement à la scolarisation d’enfants dans une autre commune dans les cas suivants : (…) 3° Frère ou sœur de l’enfant inscrit la même année scolaire dans une école maternelle, une classe enfantine ou une école élémentaire publique de la commune d’accueil, lorsque l’inscription du frère ou de la sœur dans cette commune est justifiée : a) Par l’un des cas mentionnés au 1° ou au 2° ci-dessus ; b) Par l’absence de capacité d’accueil dans la commune de résidence ; c) Par l’application des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 212-8. »
L’article L. 442-5-1 du code de l’éducation issu de l’article 1er de la loi n° 2009-1312 du 28 octobre 2009 tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence dispose quant à lui que : « La contribution de la commune de résidence pour un élève scolarisé dans une autre commune dans une classe élémentaire d’un établissement privé du premier degré sous contrat d’association constitue une dépense obligatoire lorsque cette contribution aurait également été due si cet élève avait été scolarisé dans une des écoles publiques de la commune d’accueil. »
En s’appuyant sur les débats parlementaires auxquels a donné lieu l’adoption de l’article L. 442-5-1 du code de l’éducation lors du vote de la loi précitée du 28 octobre 2009, la cour a jugé que « le législateur n’a pas entendu exclure l’application de cet article R. 212-21 du code de l’éducation aux règles de participation financière de la commune de résidence pour un élève scolarisé dans une autre commune dans une classe élémentaire d’un établissement privé du premier degré sous contrat d’association et déroger au principe de parité entre l’enseignement public et l’enseignement privé ».
Ainsi, après avoir relevé que l’inscription dans l’école primaire privée d’une commune des trois enfants résidents d’une autre commune était justifiée par l’inscription d’un frère dans un établissement scolaire du second degré situé dans la même commune que l’école privée, la cour a jugé que, « dès lors qu'il n'[était] pas soutenu que les capacités d'accueil de la commune de résidence pour les niveaux de scolarisation [concernés de l’école primaire] [auraient été] insuffisantes, la commune [de résidence] n'était tenue d'aucune contribution pour les élèves [de l’école primaire privée sous contrat] dont un frère était scolarisé dans un établissement secondaire [situé dans la même commune que l’école], selon la règle qui aurait été applicable si [les trois enfants] avaient été scolarisés dans un établissement de l'enseignement public ».
La cour a donc rejeté la requête de l’OGEC.
Responsabilité
Questions gÉnÉrales
Mise en cause de la responsabilité de l’administration
Réparation du préjudice résultant de la régularisation tardive de la situation d’un agent – Prescription quadriennale des créances sur les personnes publiques – Point de départ du délai de prescription – Départ de la prescription à partir du 1er janvier suivant l’acte de régularisation
C.E., 7 octobre 2015, n° 381627, aux tables du Recueil Lebon
Mme X avait exercé, à partir du 1er février 1983, les fonctions de médecin de prévention des services déconcentrés des ministères économiques et financiers. Elle était restée sous le régime de simples vacations hebdomadaires jusqu’à la signature, le 14 décembre 2009, d’un contrat à durée indéterminée qui avait régularisé sa situation statutaire.
Saisi par l’intéressée d’une demande tendant à la réparation des préjudices financier et moral qu’elle estimait avoir subis du fait de la régularisation tardive de sa situation administrative, le tribunal administratif de Paris avait rejeté sa demande par un jugement du 25 juin 2013.
Par un arrêt du 22 avril 2014, la cour administrative d’appel de Paris avait annulé ce jugement en tant qu’il avait statué sur les conclusions de Mme X tendant à l’indemnisation du préjudice moral mais avait cependant rejeté l’ensemble des conclusions de la requête d’appel.
Mme X avait formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.
S’agissant des moyens du pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour administrative d’appel annulant le jugement du tribunal administratif en tant qu’il avait statué sur le préjudice moral, le Conseil d’Etat a d’abord précisé que « pour l’application [des dispositions de l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics], le délai de prescription [quadriennale] de la créance dont se prévaut un agent du fait du retard mis par l'administration à le placer dans une situation statutaire régulière court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle est intervenu l'acte ayant régularisé sa situation ».
Le Conseil d’État a ensuite indiqué « qu'il en résult[ait] que le délai de prescription de la créance liée au préjudice moral dont se [prévalait la requérante] du fait de l'intervention tardive du contrat à durée indéterminée signé le 14 décembre 2009 a[vait] commencé à courir le 1er janvier 2010 ».
Il en a déduit que, « par suite, [l’intéressée était] fondée à soutenir que la cour administrative d'appel de Paris a[vait] commis une erreur de droit en jugeant qu'à la date d'introduction de sa réclamation préalable, intervenue en 2012, la créance relative à son préjudice moral était prescrite ».
Le Conseil d’État a donc annulé pour ce motif l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris et, après avoir rejeté le surplus des conclusions de Mme X, a renvoyé l’affaire devant cette cour dans cette mesure.
N.B. : Une créance se rattache à l'année au cours de laquelle sont réalisés et révélés ses éléments constitutifs. Ainsi, le Conseil d’État retient que la créance dont se prévaut un agent en raison de la régularisation tardive de sa situation statutaire doit être regardée comme « acquise » au sens des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 à la date à laquelle est intervenu l’acte ayant procédé à cette régularisation, qu’il s’agisse du préjudice matériel ou du préjudice moral. La prescription quadriennale applicable à cette créance court ainsi à partir du 1er janvier qui suit cet acte de régularisation.
Le Conseil d’État a récemment eu l’occasion d’appliquer cette solution dans le cadre de l’examen de plusieurs pourvois en cassation relevant de la même série de contentieux (cf. C.E., 9 novembre 2015, n° 381623, n° 381624, n° 381626, n° 381628, n° 381629, n° 381770, n° 381823, n° 382122).
Réparation du dommage
Dettes des collectivités publiques – Prescription quadriennale – Interruption de la prescription – Demande indemnitaire préalable – Date d’envoi de la demande – Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 (DCRA)
C.E., 5 octobre 2015, n° 384884, au Recueil Lebon
M. X, ingénieur divisionnaire de l’agriculture et de l’environnement désormais à la retraite, qui avait longtemps été agent non titulaire de l’État, avait engagé un contentieux indemnitaire pour obtenir la réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi en raison du retard pris par l’administration pour le titulariser. Le ministre lui avait opposé la prescription quadriennale devant le tribunal administratif de Bordeaux, qui avait rejeté la demande de M. X pour ce motif. La cour administrative d’appel de Bordeaux avait en revanche estimé que le délai de prescription avait été interrompu par la demande indemnitaire préalable qu’il avait adressée à l’administration et avait condamné l’État à indemniser son ancien agent. Le ministre s’était pourvu en cassation contre cet arrêt.
En l’espèce, l’arrêté de titularisation était intervenu le 25 novembre 2002, de sorte que le délai de prescription s’achevait le dimanche 31 décembre 2006. M. X avait formé sa demande d’indemnisation par un courrier daté du jeudi 28 décembre 2006, qui avait fait l’objet d’un envoi postal en recommandé le vendredi 29, mais n’avait été présenté que le mardi 2 janvier 2007. S’est alors posée la question de savoir si les dispositions de l’article 16 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (article L.112-1 du code des relations entre le public et l’administration), en vertu desquelles toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande auprès d'une autorité administrative peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d'un envoi postal, le cachet de la poste faisant foi, étaient applicables aux demandes adressées à l’administration en vue d’engager la responsabilité de l’État.
Le Conseil d’État a rejeté le pourvoi du ministre en considérant « qu’une demande tendant à mettre en jeu la responsabilité d’une collectivité publique, à laquelle celle-ci peut, le cas échéant, opposer la prescription régie par les dispositions citées ci-dessus de la loi du 31 décembre 1968 est au nombre des demandes présentées à une autorité administrative auxquelles s’applique la règle posée par l’article 16 de la loi du 12 avril 2000 ; qu’il suit de là qu’après avoir relevé que le fait générateur de la créance indemnitaire de M. X était constitué par une décision du 25 novembre 2002 et que, d’après le cachet de la poste, l’intéressé avait adressé sa demande au ministre chargé de l’agriculture le 29 décembre 2006, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l’article 16 de la loi du 12 avril 2000 pour écarter l’exception de prescription quadriennale opposée par l’administration à cette demande qu’elle n’avait reçue que le 2 janvier 2007 ».
N.B. : Cette décision, rendue aux conclusions contraires du rapporteur public, revient sur une décision inédite au Recueil Lebon en date du 25 juillet 2013 (Société Darty et fils, n° 352634) par laquelle le Conseil d’État avait jugé qu’une demande adressée à l'administration en vue d'engager la responsabilité de l'État et tendant à obtenir la réparation d'un préjudice n'entrait pas dans le champ des dispositions de l'article 16 de la loi du 12 avril 2000.
Par la présente décision du 5 octobre 2015, le Conseil d’État juge qu’une demande tendant à mettre en jeu la responsabilité d'une collectivité publique, à laquelle celle-ci peut, le cas échéant, opposer la prescription régie par les dispositions de la loi du 31 décembre 1968, est bien au nombre des demandes présentées à une autorité administrative auxquelles s'applique la règle posée par l'article 16 de la loi du 12 avril 2000 précitée. Il en résulte que la date à prendre en compte pour savoir si la prescription est interrompue par la demande, en application de l'article 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, est la date d'envoi du courrier et non la date de sa réception par l'administration.
Il convient également de noter qu’à l’occasion de cette affaire (C.E., 5 octobre 2015, n° 384884), le requérant avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la constitutionnalité des dispositions de la loi du 12 avril 2000 telles qu’interprétées par le Conseil d’État dans sa décision du 25 juillet 2013, au regard notamment de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi et de la répartition des compétences entre les pouvoirs législatifs et réglementaires.
Le Conseil d’État a refusé de transmettre au Conseil constitutionnel cette question qui ne présentait ni un caractère nouveau, ni un caractère sérieux, en retenant que « [les] dispositions [contestées], prises par le législateur sans qu'il ait méconnu l'étendue de sa compétence et ainsi interprétées, ne méconnaissent pas en toute hypothèse cet objectif de valeur constitutionnelle ».
Procédure contentieuse
RecevabilitÉ des requÊtes
Actes susceptibles de recours – Acte déclaratif dépourvu par lui-même de tout effet juridique – Annonce du transfert d’un établissement public
C.E., 5 octobre 2015, Comité d'entreprise du siège de l'Ifremer et autres, n° 387899, aux tables du Recueil Lebon
Le comité d’entreprise du siège de l’Ifremer, le syndicat C.G.T.-Ifremer et la FERC-C.G.T. avaient demandé l’annulation de la « décision » du Premier ministre de transférer à Brest le siège de l’Ifremer.
Le Conseil d’État a relevé « que si, dans un discours prononcé à Brest (…), le Premier ministre a entendu confirmer la "décision" de "transfert du siège social d'Ifremer" dans cette ville que son prédécesseur avait déjà annoncée (…), il y est spécifié qu'il s'agit d'un engagement à concrétiser ».
Il a souligné « que, d'ailleurs, par un courrier (…), les ministres de tutelle de cet établissement public, après avoir rappelé l'annonce du "principe d'un transfert du siège de l'Ifremer sur le pôle brestois", ont demandé à son directeur général de "préparer le transfert sur le campus Ifremer de Brest-Plouzané du siège" ».
Ainsi, le Conseil d’État a jugé « que ces annonces, qui sont dépourvues par elles-mêmes de tout effet juridique direct, ne révèlent pas l'existence d'une décision susceptible d'être attaquée par la voie du recours en excès de pouvoir ».
N.B. : Cette décision s’inscrit dans le cadre de la jurisprudence du Conseil d’État sur les déclarations d’intention. Pour apprécier si une déclaration, un discours ou un communiqué fait grief, le Conseil d’État mesure la portée de la « décision » en regardant si cette dernière produit des effets juridiques propres.
Ainsi, à propos du transfert du siège de l’École nationale d’horticulture, il a jugé que le communiqué qui « ne fait état d'aucune décision relative au transfert (…) du siège de l'école nationale supérieure d'horticulture (…), mais se borne à retenir cette mesure au nombre de celles qui devront faire l'objet d'une mise en œuvre ultérieure » n’est pas susceptible d’être déféré devant le juge de l’excès de pouvoir (C.E., 2 avril 1997, n° 160732, aux tables du Recueil Lebon).
De la même manière, dans un contentieux portant sur le transfert du siège de l’Office national des forêts, le Conseil d’État a jugé que « ni la lettre adressée par le Premier ministre (…) au directeur général de l'Office national des forêts (O.N.F.) l'invitant à proposer à son conseil d'administration une résolution prononçant le transfert du siège de l'établissement public (…), et renvoyant ainsi à une intervention de l'autorité compétente, ni le courrier par lequel le ministre du budget a fixé un plafond financier maximum à l'opération de construction du nouveau siège de l'Office, laquelle devra être arrêtée dans son principe et son montant par son conseil d'administration, ne sont des actes décisoires faisant grief » (C.E., 17 décembre 2010, Syndicat Force ouvrière des personnels administratifs de l’Office nationale des forêts – S.N.P.A.-O.N.F.-F.O., n° 339089).
Au contraire, dans deux décisions de 1993, il avait été jugé s’agissant de l'annonce par le Premier ministre, d’une part, du transfert de la société SEITA (C.E. Assemblée, 3 mars 1993, Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes – SEITA, n° 132993, au Recueil Lebon ) et, d’autre part, de la délocalisation du siège de l'École nationale d'administration (C.E. Assemblée, 4 juin 1993, Association des anciens élèves de l'École nationale d'administration et autres, n° 138672-138878-138952, au Recueil Lebon) qu’une telle décision dont la réalisation effective n’avait pas été subordonnée à l’intervention d’une autre décision « ne constituait pas une simple mesure préparatoire, mais avait le caractère d'un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ».
Technologies de l'information et de la communication
Fichiers (traitements automatisÉs de donnÉes)
Base élèves premier degré – Base nationale des identifiants élèves – Droit d’opposition – Compétence de l’inspecteur d’académie – Motifs légitimes d'opposition
C.E., 18 novembre 2015, n° 384869
Les requérants demandaient l’annulation d’une décision par laquelle un inspecteur d’académie, directeur académique des services de l’éducation nationale (I.A.-DASEN), avait rejeté leur demande d’opposition à l’inscription de données relatives à leur enfant dans les traitements de données à caractère personnel dénommés « base élèves premier degré » (B.E.1D.) et « base nationale des identifiants élèves » (B.N.I.E.).
Confirmant le jugement du tribunal administratif, la cour administrative d’appel avait rejeté leur appel par un arrêt contre lequel M. et Mme X avaient formé un pourvoi.
Après avoir rappelé les dispositions de l’article 38 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et de l’article 94 du décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005, pris pour l’application de cette loi, le Conseil d’État a rejeté ce pourvoi en considérant « que la cour a relevé que les motifs invoqués par les intéressés pour faire valoir leur droit d’opposition, prévu par l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978, n’avaient aucune incidence sur la situation personnelle de leur fille ; qu’elle en a déduit que ces motifs n’étaient pas légitimes au sens de cet article ; qu’en statuant ainsi, la cour n’a pas commis d’erreur de droit, dès lors que le droit pour une personne de s’opposer à ce que des données la concernant fassent l’objet d’un traitement doit reposer sur des raisons prépondérantes et légitimes tenant à sa situation particulière ».
N.B. : Cette décision est particulièrement intéressante sur deux points :
En premier lieu, elle confirme que la notion de « motif légitime d’opposition », au sens de la loi du 6 janvier 1978, sur laquelle les juges du fond portent une appréciation souveraine, doit nécessairement être examinée au regard de la situation personnelle et concrète des intéressés. Ainsi, des objections d’ordre général ou de principe ne sauraient constituer des motifs légitimes d’opposition au sens de la loi du 6 janvier 1978.
Par ailleurs, dans l’examen de ce pourvoi, le Conseil d’État a d’abord eu à s’interroger sur la question d’ordre public, rappelée par le rapporteur public lors de l’audience, de la compétence de l’inspecteur d’académie pour prendre la décision contestée. N’ayant pas retenu le moyen d’ordre public tiré de l’incompétence de l’auteur de la décision litigieuse pour en prononcer l’annulation, le Conseil d’État a donc, par cette décision, implicitement reconnu la compétence de l’I.A.-DASEN pour statuer sur une demande d’opposition à l’enregistrement de données à caractère personnel dans B.E.1D.
Accès aux documents administratifs
Communication de documents administratifs
Document n’existant pas en l’état – Obligation pour l’administration de compiler des bases pour le produire (non)
T.U.E., 2 juillet 2015, n° T-214/13
Le requérant demandait au tribunal de l’Union européenne l’annulation d’une décision du secrétariat général de la Commission européenne ayant rejeté sa demande d’accès à des documents administratifs relatifs aux tests de présélection d’un concours.
S’agissant des faits, le requérant avait demandé la communication d’un tableau comprenant une série d’informations anonymisées relatives aux tests subis par plusieurs milliers de candidats. Le secrétariat général de la Commission avait rejeté sa demande au motif qu’elle n’avait pas pour objet la communication d’un « document existant » au sens du règlement n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, mais impliquait la création d’un nouveau document.
M. X contestait cette décision en soutenant notamment que les informations qu’il sollicitait étaient contenues dans des bases de données et qu’il était donc possible de répondre favorablement à sa demande en sélectionnant certaines données stockées dans ces bases, tout en excluant les données à caractère personnel des autres candidats.
En défense, la Commission opposait l’argument selon lequel la satisfaction de la demande de M. X nécessitait des opérations informatiques multiples, supposant une mise en relation de plusieurs bases de données, ainsi que des instructions de recherche et de traitement des données dont elle ne disposait pas et que, par conséquent, elle impliquerait nécessairement l’élaboration d’un nouveau document.
Après avoir rappelé le principe selon lequel « s’agissant des bases de données, peut faire l’objet d’une demande d’accès introduite sur le fondement du règlement n° 1049/2001 tout ce qui peut être extrait de telles bases en effectuant une recherche normale ou de routine », le tribunal a constaté que « contrairement à ce que soutient le requérant, les opérations qu’impliquerait ce travail de programmation (...) ne sauraient être assimilées à une recherche normale ou de routine dans la base de données concernée, effectuée à l’aide des outils de recherche qui sont à la disposition de la Commission pour cette base de données. L’accomplissement de telles opérations tendrait plutôt à un classement selon un schéma qui n’est pas prévu par lesdites bases de données, en utilisant des outils de recherche (...) qui doivent être développés afin que la demande d’accès puisse être utilement satisfaite ».
Le tribunal a donc rejeté la requête en jugeant que : « Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que, comme l’a constaté le secrétariat général dans la première décision attaquée, la demande formée par le requérant (...) ne vise pas un accès, même partiel, à un ou plusieurs documents existants (...), mais vise au contraire la production de nouveaux documents qui ne peuvent pas être extraits d’une base de données en effectuant une recherche normale ou de routine à l’aide d’un outil existant. »
N.B. : Cette décision du tribunal de l’Union européenne rejoint la position de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en la matière.
En effet, la CADA considère de façon constante que seules peuvent être regardées comme des documents existants, au sens de l’article 1 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, les informations contenues dans des fichiers informatiques et pouvant en être extraites par un traitement d’usage courant.
En revanche, lorsque, comme en l’espèce, les informations sollicitées nécessitent, pour être extraites d’un fichier, des opérations informatiques complexes ou multiples, elles ne peuvent pas être regardées comme un document administratif existant (cf. CADA, Conseil, 10 octobre 2013, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – A.N.S.M., n° 20133264 ; CADA, Avis, 21 novembre 2013, Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés – C.N.A.M.T.S.-75, n° 20134348).
|