La Lettre d’information juridique n° 234 – mars 2025

Direction des affaires juridiques - Lettre d'information juridique (LIJ)

Lettre de la direction des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Éditorial

Le revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel avait surpris. En étendant l’obligation de notifier le "droit de se taire" à toute personne entendue dans le cadre d’une procédure répressive, alors qu’il ne s’appliquait classiquement qu’à la répression pénale, les sages de la rue de Montpensier avaient brusquement fait sauter une digue entre répression pénale et répression administrative.

Il n’est pas certain qu’un tel mouvement s’imposait : si l’on comprend qu’il y a une certaine cohérence à ce qu’un socle commun de principes s’applique à toutes les "sanctions ayant le caractère de punitions", l’on comprend tout aussi aisément que la répression pénale garde une singularité irréductible – et donc que toutes les règles qui s’y appliquent ne peuvent être transposées à toute forme de répression, a fortiori en matière disciplinaire.

Mais le coup était parti, et soulevait bon nombre d’interrogations – et autant d’inquiétudes – quant à ses conséquences sur les formes multiples de la répression administrative. Par ses décisions du 19 décembre 2024, le Conseil d’État s’est attaché à répondre à ces interrogations – et ses réponses ont apaisé les inquiétudes. En canalisant la portée et les conséquences de l’obligation dégagée par le Conseil constitutionnel, il s’est efforcé de donner une traduction raisonnable et praticable à la jurisprudence nouvelle de ce dernier.

Il y a là une forme de "service après-vente" d’une aile à l’autre du Palais-Royal, qui n’est pas sans rappeler la façon dont le Conseil d’État avait dû donner le mode d’emploi de l’exigence de "modicité" des droits d’inscription perçus par les établissements publics d’enseignement supérieur. Il faut certainement voir dans cette répartition des rôles une forme originale, mais bien réelle, de dialogue des juges ; on y relèvera aussi tout l’intérêt que conserve le droit jurisprudentiel.


Guillaume Odinet

Jurisprudence

Principes généraux
Lutte contre les discriminations
CE, 20 décembre 2024, n° 474812 et n° 487671

Enseignement scolaire
Organisation de l’enseignement scolaire
CE, 23 décembre 2024, Agence pour l’enseignement français à l’étranger, n° 472450
Organisation de l’enseignement du second degré
CE, 28 novembre 2024, Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale SGEN-CFDT et autres, nos 493513 et suiv., au recueil Lebon
Sanctions
TA Bordeaux, 31 octobre 2024, n° 2402501

Enseignement supérieur et recherche
Sanctions
TA Châlons-en-Champagne, 9 octobre 2024, Université de Reims Champagne-Ardenne, n° 2300970

Examens, concours et diplômes
Composition du jury
CE, 23 décembre 2024, Université Jean-Moulin–Lyon-III, n° 489761

Personnels
Affectation
CAA Marseille, 12 novembre 2024, n° 24MA00325
Maintien en activité au-delà de la limite d’âge
CE, 29 novembre 2024, Service territorial d’incendie et de secours de la Martinique, n° 497463, aux tables du recueil Lebon
Congé de longue durée et congé d’office
CAA Douai, 6 novembre 2024, n° 23DA00806
Imputabilité au service
CAA Lyon, 7 novembre 2024, n° 23LY02461
Primes et indemnités
TA Marseille, 11 décembre 2024, n° 2111251
Procédure
CE, Section, 19 décembre 2024, n° 490157, au recueil Lebon
Sanctions
CE, 18 décembre 2024, n° 492519, aux tables du recueil Lebon
CAA Marseille, 25 novembre 2024, n° 23MA01049

Incapacité (condamnation pénale…)
TA Lille, 15 novembre 2024, n° 2107153

Sports
Organisation
CE, 1er octobre 2024, n° 492254

Principes généraux

Lutte contre les discriminations

  • Règles de féminisation dans le cadre de l’enseignement – Respect des règles de grammaire et de syntaxe – Absence de recours à l’écriture inclusive

CE, 20 décembre 2024, n° 474812 et n° 487671

Un parent d’élève avait demandé, à deux reprises, au ministre de l’éducation nationale d’abroger la circulaire du 5 mai 2021 relative aux règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et les pratiques d’enseignement.

Cette circulaire rappelle, en se référant à la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, les règles grammaticales communes auxquelles il convient de recourir dans les actes et usages administratifs du ministère. Elle indique également que la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques est de rigueur dans le cadre de l’enseignement, dont il découle deux conséquences : le recours à l'écriture dite "inclusive", définie comme "utilis[ant] notamment le point médian pour faire apparaître simultanément les formes féminine et masculine d'un mot employé au masculin lorsque celui-ci est utilisé dans un sens générique", est proscrit et l'usage de la féminisation des métiers et des fonctions doit être recherché.

Ses demandes ayant été implicitement rejetées, le parent d’élève avait saisi le Conseil d’État de requêtes tendant à l’annulation de ces décisions implicites et à l’abrogation de la circulaire contestée qui, selon lui, portait atteinte à divers principes, droits et libertés constitutionnellement et conventionnellement garantis. Il demandait également, à titre subsidiaire, que la Cour de justice de l’Union européenne soit saisie de plusieurs questions préjudicielles.

Par une décision du 20 décembre 2024, le Conseil d’État a tout d’abord jugé qu’en prescrivant aux enseignants de ne pas recourir à l’écriture inclusive, qui "modifie le respect des règles d’accords usuels attendues dans le cadre des programmes", la circulaire ne portait atteinte ni au principe d’égal accès à l’instruction ni au droit à l’instruction, garantis par le treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, par l’article 2 du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) et par l’article 14 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dès lors qu’elle avait pour objectif de "faciliter l’acquisition de la langue française et de la lecture et de favoriser l’égalité des chances entre tous les élèves". À cet égard, il a également ajouté que le texte ne méconnaissait pas le droit des parents à l’instruction de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques, garanti par ce même article 2 du protocole additionnel à la CESDH, compte tenu du fait que ses prescriptions "ne s’appliquent que dans le cadre de l’enseignement scolaire et ne prônent en rien l’inégalité entre les sexes".

Le Conseil d’État a ensuite relevé que la circulaire incriminée, qui "se borne à prescrire l’emploi dans l’enseignement de la version communément admise de la langue française" et oblige les élèves à s’exprimer, dans le cadre scolaire, selon des règles grammaticales et syntaxiques définies, ne méconnaissait ni la liberté de conscience des enseignants ou des élèves ni la liberté d’expression de ceux-ci, libertés garanties par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), les articles 9 et 10 de la CESDH et les articles 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

En outre, le Conseil d’État a souligné qu’eu égard à sa portée, cette circulaire ne pouvait davantage être regardée comme portant atteinte, pour les "élèves femmes et appartenant aux minorités de genre", au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la CESDH, l’article 2 de la DDHC et l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Il a également estimé qu’eu égard à son objet et à son effet, quand bien même elle proscrivait l’usage de l’écriture inclusive, la circulaire attaquée, "en enjoignant aux enseignants de féminiser systématiquement l’intitulé des fonctions tenues par une femme, de recourir à des formulations ne marquant pas de préférence de genre ou encore de lutter contre les représentations stéréotypées par le choix des exemples et des énoncés dans le cadre de l’enseignement", ne portait pas atteinte aux principes d’égalité et de non-discrimination prévus à l’article 1er de la Constitution, à l’article 6 de la DDHC et à l’article 14 de de la CESDH.

Après avoir précisé que l’article L. 111-1 du code de l’éducation, qui fixe le principe de l’école inclusive, "n’[a] pas pour objet [ni] pour effet d’imposer (…) la démasculinisation de la grammaire", le Conseil d’État a jugé que l’apparente contradiction de la circulaire attaquée avec la convention d’engagement pour la mise en œuvre du guide pratique Pour une communication publique sans stéréotypes de sexe était sans incidence sur sa légalité.

Dans ces conditions, et en l’absence de difficultés d’interprétation du droit de l’Union européenne nécessitant de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles, le Conseil d’État a rejeté les requêtes.

N.B. : Saisi d’un recours en annulation, le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la conformité au droit en vigueur de la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017, qui énonce les règles grammaticales qu’il appartient aux membres du Gouvernement et aux services placés sous leur autorité d’observer dans la rédaction des actes administratifs (CE, 28 février 2019, Association Groupement d'information et de soutien sur les questions sexuées et sexuelles et Mme X, n° 417128 et n° 417445).

Enseignement scolaire

Organisation de l’enseignement scolaire

  • Établissement français à l’étranger – Aménagement à l’organisation de la scolarité – Conditions particulières d’exercice de l’activité et coopération avec les systèmes éducatifs étrangers

CE, 23 décembre 2024, Agence pour l’enseignement français à l’étranger, n° 472450

Le directeur d’un établissement scolaire français homologué au Maroc, dont la gestion était assurée par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), avait informé les parents d’élèves de la mise en place, pour tous les élèves du CE1 au CM2, d’un enseignement en langue arabe de cinq heures hebdomadaires, en lieu et place des trois heures jusqu’alors prévues pour les élèves n’ayant pas la nationalité marocaine.

Contestée par certains parents, cette décision avait été annulée par un jugement du tribunal administratif de Paris du 13 janvier 2021, confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 27 janvier 2023, au motif que l’ajout de deux heures supplémentaires hebdomadaires ne constituait pas un simple aménagement de l’organisation de la scolarité dans les établissements scolaires français à l'étranger au sens de l’article R. 451-3 du code de l’éducation.

Saisi d’un pourvoi en cassation formé par l’AEFE à l’encontre de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel, le Conseil d’État a tout d’abord rappelé les dispositions de l’article L. 451-1 du code de l’éducation, selon lesquelles : "Des décrets en Conseil d'État fixent les conditions dans lesquelles les dispositions du présent code sont appliquées aux établissements scolaires français à l'étranger, compte tenu de leur situation particulière et des accords conclus avec des États étrangers."

À cet égard, si l’article R. 451-2 du code de l’éducation prévoit que les établissements scolaires français à l’étranger "dispensent, dans le respect des principes définis à l'article L. 111-1, un enseignement conforme aux programmes, aux objectifs pédagogiques et aux règles d'organisation applicables, en France, aux établissements de l'enseignement public (…)", ces établissements sont autorisés, en vertu de l’article R. 451-3 de ce même code, à apporter "des aménagements pour tenir compte des conditions particulières dans lesquelles s'exerce leur activité et pour renforcer leur coopération avec les systèmes éducatifs étrangers".

En l’espèce, la décision du directeur de l’école concernée prévoyait que les élèves des classes du CE1 au CM2 bénéficiaient chaque semaine de vingt-six heures d’enseignement, soit deux heures de plus que le volume horaire hebdomadaire fixé à vingt-quatre heures par l’article D. 521-10 du code de l’éducation. Parmi ces vingt-six heures, cinq étaient consacrées à l’enseignement en langue arabe, dont deux heures d’enseignement d’une matière dispensée en arabe par un professeur de langue arabe et un professeur des écoles, dans le cadre du dispositif dit "EMILE" (enseignement d’une matière intégrée à une langue étrangère), et trois heures d’enseignement de la langue arabe, ce dernier enseignement excédant le volume horaire hebdomadaire moyen dédié à l’apprentissage d’une langue étrangère dans ces classes, fixé à une heure et demie conformément à l'article 2 de l’arrêté du 9 novembre 2015 de la ministre chargée de l’éducation nationale fixant les horaires d'enseignement des écoles maternelles et élémentaires.

Toutefois, le Conseil d’État a estimé qu’au regard de l’accord signé le 10 mars 2000 à Rabat dans le cadre de la politique française de coopération en matière d’éducation avec le Maroc, publié au Journal officiel de la République française (cf. décret n° 2000-463 du 24 mai 2000), qui prévoyait la possibilité pour tous les élèves scolarisés dans les établissements scolaires français au Maroc de bénéficier d’un enseignement d'arabe renforcé, les dépassements effectués par l’école en question devaient être regardés comme un "aménagement" à l’organisation de la scolarité auquel l’établissement était autorisé à procéder, "pour tenir compte des conditions particulières dans lesquelles s'exer[çait] [son] activité et pour renforcer [la] coopération avec les systèmes éducatifs étrangers", conformément à l’article R. 451-3 du code de l’éducation.

Le Conseil d’État a conclu qu’en jugeant le contraire, la cour administrative d’appel de Paris avait inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et, par conséquent, a annulé son arrêt du 27 janvier 2023, lui renvoyant l’affaire.

Organisation de l’enseignement du second degré

  • Organisation des enseignements communs – Groupes de besoins – Français – Mathématiques

CE, 28 novembre 2024, Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale SGEN-CFDT et autres, nos 493513 et suiv., au recueil Lebon

Cinq syndicats, des enseignants et une association de parents d’élèves demandaient au Conseil d’État l’annulation de l’arrêté du 15 mars 2024 par lequel les ministres chargés de l’éducation nationale et de l’outre-mer avaient modifié l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège pour prévoir la délivrance des enseignements communs de français et de mathématiques en groupes constitués en fonction des besoins des élèves, pour l’ensemble des classes de sixième et de cinquième à compter de la rentrée scolaire 2024, puis des classes de quatrième et de troisième à compter de la rentrée scolaire 2025. Les requérants demandaient également l’annulation de la note de service du 15 mars 2024 précisant les objectifs et modalités de mise en œuvre de ces groupes.

Le Conseil d’État a tout d’abord écarté le moyen tiré de l’empiètement sur le domaine de la loi défini par l’article 34 de la Constitution, en considérant que "les dispositions de l'article 4 de l’arrêté attaqué, qui prévoient que l'enseignement du français et des mathématiques au collège est dispensé en groupes constitués selon les besoins des élèves identifiés par les enseignants, ne relèvent pas des principes fondamentaux de l'enseignement".

Il a ensuite considéré que l’article L. 332-3 du code de l’éducation, selon lequel "les collèges dispensent un enseignement commun", ne faisait pas obstacle à ce que "puissent être mis en œuvre des aménagements de l’enseignement autres que ceux expressément prévus par l’article L. 332-4 du même code en faveur des élèves éprouvant des difficultés dans l'acquisition du socle commun de connaissances et des élèves manifestant des aptitudes particulières", y compris pour les enseignements communs obligatoires de français et de mathématiques.

Dans ce cadre, le Conseil d’État a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe du "collège unique" en relevant, d’une part, que les élèves pouvaient changer de groupe en cours d’année scolaire afin de tenir compte de leur progression et, d’autre part, que l’enseignement des autres disciplines – soit les deux tiers des enseignements – était dispensé en classe entière. Il a également relevé, "au surplus", que le programme et le volume horaire des enseignements de français et de mathématiques demeuraient identiques pour l’ensemble des élèves, comme le socle commun de connaissances, de compétences et de culture et les attendus en termes d’acquisition des connaissances, de sorte que les dispositions attaquées de l’arrêté ne pouvaient être regardées comme créant des "filières" d’enseignement différenciées.

Il a enfin jugé que ces dispositions ne portaient pas atteinte à l’autonomie pédagogique et éducative des collèges et à leurs règles d’organisation, de sorte qu’elles n’avaient pas à être prises par décret en Conseil d’État en application des articles L. 421 4 et L. 421-16 du code de l’éducation, dès lors qu’elles "ne font pas obstacle au choix par les établissements et les enseignants des méthodes pédagogiques qu'ils jugent les plus adaptées, pour l'enseignement de ces disciplines, aux besoins des élèves" et que "la détermination du nombre de groupes créés par niveau, du nombre d'élèves par groupe, la répartition des élèves entre ces groupes et la modification de cette répartition en cours d'année pour tenir compte de l'évolution des besoins des élèves, ainsi que l'organisation, le cas échéant, de périodes de regroupement en classe durant une à dix semaines dans l'année sont laissées à l'appréciation de chaque établissement, en tenant compte de ses spécificités".

En revanche, après avoir rappelé qu’il résulte de l’article L. 311-2 du code de l’éducation que l'organisation de l'enseignement dans les collèges doit être déterminée par décret et que le ministre chargé de l'éducation n’a compétence pour définir par arrêté que le contenu des formations, c'est-à-dire les matières, horaires et programmes des enseignements (cf. CE, 18 octobre 2000, Association Promouvoir, n° 213303, au recueil Lebon), le Conseil d’État a accueilli le moyen tiré de l’incompétence des ministres chargés de l’éducation et de l’outre-mer pour prévoir que les enseignements de français et de mathématiques sont dispensés en groupes constitués en fonction des besoins des élèves, selon des modalités permettant l’évolution de la composition des groupes en cours d’année scolaire et des regroupements en classe entière.

Il a en effet considéré que ces règles n’avaient pas pour seul objet de préciser les modalités de dispensation des enseignements de français et de mathématiques, et n’étaient donc pas relatives au contenu de ces enseignements, mais touchaient à leur organisation. Il a ainsi jugé que les dispositions de l’arrêté du 15 mars 2024 relatives aux groupes de besoins auraient dû être prises par décret du Premier ministre et que, faute de l’avoir été, elles étaient illégales, ainsi que, par voie de conséquence, la note de service du 15 mars 2024 prise pour exposer les modalités d'application des enseignements de français et de mathématiques en groupes de besoins.

Relevant cependant que l’annulation rétroactive des dispositions contestées de l’arrêté et de la note de service du 15 mars 2024 était susceptible de "remettre en cause, en cours d'année scolaire, l'organisation des enseignements de français et de mathématiques dans les classes de sixième et de cinquième mise en place dans les collèges depuis septembre 2024, de produire des effets négatifs sur la progression pédagogique des élèves et d'entraîner des difficultés de nature à porter atteinte au bon fonctionnement du service public de l’enseignement du second degré", le Conseil d’État a fait application de sa jurisprudence Association AC ! (CE, Assemblée, 11 mai 2004, n° 255886, au recueil Lebon) en décidant que l’annulation ne prendrait effet qu’à la fin de l’année scolaire 2024-2025.

Sanctions

  • Exclusion définitive – Harcèlement scolaire – Absence d’antécédents disciplinaires – Proportionnalité de la sanction (oui)

TA Bordeaux, 31 octobre 2024, n° 2402501

Un élève scolarisé en classe de première avait fait l’objet d’une sanction d’exclusion définitive sans sursis prononcée par le conseil de discipline départemental (cf. articles R. 511 44 à D. 511-46 du code de l’éducation), confirmée par la rectrice d’académie. Saisi par les parents de l’élève d’une demande d’annulation de cette sanction, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête.

Le tribunal a relevé, au regard des témoignages et rapports versés au dossier, que le fils des requérants avait, à de multiples reprises au cours de l’année scolaire précédant l’édiction de la sanction, "brutalisé, frappé, fait tomber, insulté et humilié en public [une autre] élève [de l’établissement], provoquant ainsi chez cette dernière un profond mal-être occasionnant de nombreuses absences et allant jusqu’à entraîner des scarifications et des pensées suicidaires".

Compte tenu des atteintes graves et répétées ainsi portées à l’intégrité physique et morale d’une élève, "en méconnaissance des dispositions du règlement intérieur de l’établissement, et des règles élémentaires de la vie en collectivité", les faits ayant d’ailleurs donné lieu à la condamnation pour harcèlement de l’intéressé par le juge des enfants, le tribunal a estimé qu’en dépit de l’absence d’antécédents disciplinaires de l’élève, la sanction d’exclusion définitive était proportionnée à la gravité des fautes.

Enseignement supérieur et recherche

Sanctions

  • Section disciplinaire compétente à l’égard des usagers – Attestation mensongère – Caractère frauduleux (non)

TA Châlons-en-Champagne, 9 octobre 2024, Université de Reims Champagne-Ardenne, n° 2300970

Un étudiant, inscrit en première année commune aux études de santé (PACES) adaptée au titre de l’année universitaire 2019-2020, avait échoué aux épreuves d’accès en deuxième année de la filière médecine. Après une année sabbatique, il avait candidaté à une formation de licence accès santé (LAS) au sein d’une autre université. Dans le cadre de son inscription en première année de LAS, il avait signé une attestation sur l’honneur certifiant "ne pas avoir déjà effectué d’inscription dans le cadre d’une année d’accès aux études de santé". Alors qu’il avait validé son année, l’université en question, considérant que l’étudiant aurait dû redoubler la PACES et qu’il avait épuisé toutes ses chances d’accéder aux études de santé, avait refusé de l’inscrire en deuxième année de LAS.

Cette décision avait été annulée par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne par un jugement du 2 décembre 2022 (n° 2202025), confirmé en appel (CAA Nancy, 18 juillet 2023, n° 22NC03141).

Saisie par le président de l’université, la section disciplinaire du conseil académique compétente à l’égard des usagers n’avait pas prononcé de sanction, considérant que l’intéressé ne s'était pas "rendu coupable de faux et usage de faux" en transmettant, au moment de son inscription en LAS, une attestation mensongère.

L’université avait alors saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d’une demande tendant à l’annulation de la décision de la section disciplinaire en soutenant, notamment, que la signature par l’étudiant d’une l’attestation sur l’honneur indiquant qu’il n’avait jamais effectué une inscription en formation de médecine le rendait coupable de fraude, tentative de fraude ou usage de faux.

Le tribunal administratif a tout d’abord rappelé qu’en vertu du 1° de l’article R. 811-11 du code de l’éducation, constitue une faute disciplinaire le fait pour un usager d’une université de se rendre coupable "d’une fraude ou d’une tentative de fraude commise notamment à l’occasion d’une inscription".

Il a ensuite relevé qu’"il ne résulte d’aucune disposition qu’un étudiant soit tenu de présenter une seconde candidature à une formation de médecine l’année suivant son échec". Il a donc considéré que la circonstance que l’étudiant avait été inscrit en PACES ne lui interdisait pas de candidater à une inscription en LAS dès lors qu’il n’avait pas fait usage de la faculté dont il disposait de présenter une seconde candidature pour une admission dans les formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie ou de maïeutique.

Dans ces conditions, le tribunal a estimé que le caractère mensonger de l’attestation n’avait pas eu pour effet de permettre à l’intéressé de s’inscrire en première année de LAS sans en remplir les conditions et a, dès lors, écarté le moyen tiré de ce que la commission de discipline aurait commis une erreur d’appréciation en ne qualifiant pas le comportement de l’étudiant de fraude, tentative de fraude ou usage de faux. En conséquence, le tribunal a rejeté la requête de l’université.

N.B. : Ce jugement offre une illustration du contrôle qu’exerce le juge administratif lorsqu’il est saisi par un président d’université d’une décision rendue par la section disciplinaire compétente à l’égard des usagers et, en particulier, lorsqu'il s'agit d'apprécier la qualification de "fraude ou tentative de fraude" au sens du 1° de l’article R. 811-11 du code de l’éducation.

Examens, concours et diplômes

Composition du jury

  • Règle d’incompatibilité des membres du jury – Possibilité de préparer à un examen dans une formation publique ou privée et d’être membre du jury – Principe d’impartialité

CE, 23 décembre 2024, Université Jean-Moulin-Lyon-III, n° 489761

Une étudiante avait été ajournée à l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats (CRFPA) organisé par l’université Lyon-III, par une délibération du 29 novembre 2019. Elle en demandait l’annulation au tribunal administratif de Lyon.

La requérante soutenait notamment que la composition du jury était irrégulière en raison de la participation de la directrice de l’institut d’études judiciaires de Lyon, laquelle assurait également des enseignements dans le cadre de la préparation à l’examen d’accès au CRFPA dispensée par cet institut. L'étudiante fondait son argumentation sur le troisième alinéa de l’article 4 de l’arrêté du 17 octobre 2016 fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au CRFPA, selon lequel : "Les examinateurs et les membres du jury ne peuvent enseigner simultanément dans une formation publique et privée préparant à l'examen d'accès aux [CRFPA] au cours de l'année universitaire au titre de laquelle l'examen est organisé et l'année universitaire précédant celle-ci."

Par un jugement n° 2002605 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif avait accueilli ce moyen, annulé la délibération litigieuse et enjoint à l’université de procéder à un nouvel examen de la situation de la requérante. Ce jugement avait été confirmé par la cour administrative d’appel de Lyon par un arrêt n° 21LY02876 du 29 septembre 2023 contre lequel l’université Lyon-III avait formé un pourvoi en cassation.

Par cette décision commentée du 23 décembre 2024, le Conseil d’État a censuré pour erreur de droit l’interprétation qu’elle a jugée contra legem des dispositions de l’arrêté du 17 octobre 2016 qu’avait retenue la cour administrative d’appel.

Il a jugé que les règles d’incompatibilité résultant des articles 3 et 4 de l’arrêté précité du 17 octobre 2016, concernant respectivement, d’une part, les membres de la commission nationale chargée d’élaborer les sujets des épreuves écrites d’admissibilité de l’examen d’accès au CRFPA et, d’autre part, les examinateurs ou membres du jury d’examen d’accès au CRFPA, n’ont pas la même portée. Pour les premiers, l’incompatibilité se traduit par une interdiction générale d’enseigner dans une formation préparant à cet examen, qu’elle soit publique ou privée. Pour les seconds, en revanche, elle interdit seulement l’exercice de fonctions d’enseignant "à la fois" dans une formation publique et dans une formation privée préparant à cet examen, s’agissant tant de l’année universitaire au titre de laquelle l’examen est organisé que de l’année universitaire précédant celle-ci.

Dans ses conclusions sur cette affaire (accessibles sur ArianeWeb), le rapporteur public a souligné que : "L’utilisation [à l’article 4] du terme "simultanément" [et] de la conjonction "et" au lieu de celle du "ou" (…) ne laisse pas place au doute sur le sens du texte. L’enseignement dans une formation publique seulement, ou dans une formation privée seulement, n’est pas prohibé", s’agissant des examinateurs et des membres du jury d’examen. Le régime d’incompatibilité plus strict auquel sont astreints les membres de la commission nationale s’explique par le fait qu’ils choisissent, pour chaque épreuve d’admissibilité, un sujet unique qui est le même pour l’ensemble des candidats. À l’inverse, les examinateurs sont chargés de l’évaluation des épreuves d’admissibilité de manière anonyme et les membres du jury élaborent, en vue d’un tirage au sort, autant de sujets qu’il y a de candidats. En outre, un membre du jury a toujours la possibilité de se déporter s’il présente avec le candidat "des liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation".

Par conséquent, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon et renvoyé l’affaire devant cette juridiction.

Personnels

Affectation

  • Directeur d'école – Retrait d'emploi – Nouvelle affectation prononcée à titre provisoire

CAA Marseille, 12 novembre 2024, n° 24MA00325

Un professeur des écoles occupant un emploi de directeur d’une école élémentaire publique avait été affecté à titre provisoire dans une autre école élémentaire sur un poste d’enseignant à la suite de difficultés relationnelles avec plusieurs de ses collègues, entraînant des dysfonctionnements au sein de l'établissement. Après avoir demandé, en vain, au tribunal administratif de Marseille l’annulation de la décision d’affectation ainsi que de la décision rejetant son recours gracieux, le requérant avait formé un appel devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Le requérant soutenait que la mesure de changement d’affectation revêtait le caractère d’une sanction disciplinaire déguisée.

Reprenant le cadre juridique posé par le Conseil d'État (6 décembre 2017, n° 401876), la cour administrative d'appel a considéré dans un premier temps que la décision contestée devait être regardée comme ayant été prise en dehors de toute volonté de sanctionner le requérant et, dans un second temps, que le changement d’affectation n’avait pas dégradé sa situation professionnelle.

Ainsi, dans le cadre d’une appréciation concrète des circonstances de l’espèce, la cour a estimé que la décision contestée ne portait atteinte ni au statut, ni aux prérogatives, ni à la rémunération, ni aux perspectives de carrière de l’enseignant.

La cour a également considéré que, cette nouvelle affectation ayant été décidée face à la nécessité et à l'urgence de déplacer le professeur dans l'intérêt du service : "Il ne saurait être reproché au service du rectorat de ne pas avoir affecté en cours d'année scolaire M. X sur des fonctions de directeur d'école alors qu'au demeurant, sa nouvelle affectation en surnombre n'[avait] été prise qu'à titre provisoire pour l’année en cours et que sa nouvelle école d'affectation se trouvait à proximité de son lieu de résidence."

La cour a, en conséquence, rejeté la requête d’appel.

Maintien en activité au-delà de la limite d’âge

  • Cessation de fonctions – Limite d’âge – Prolongation d’activité – Articles L. 556-5 et L. 556-7 du CGFP – Motifs – Différence de traitement – Question prioritaire de constitutionnalité

CE, 29 novembre 2024, Service territorial d’incendie et de secours de la Martinique, n° 497463, aux tables du recueil Lebon

Le service territorial d’incendie et de secours de la Martinique avait déposé, dans le cadre d'un litige devant le tribunal administratif de la Martinique, une question prioritaire de constitutionnalité, transmise au Conseil d’État, selon laquelle le premier alinéa de l’article L. 556-7 du code général de la fonction publique (CGFP) méconnaissait le principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par les articles 34 et 72 de la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi que le principe d’égalité, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et le principe de continuité du service public.

L'alinéa premier de l’article L. 556-7 du CGFP dispose que : "Le fonctionnaire appartenant à un corps ou à un cadre d'emplois dont la limite d'âge est inférieure à celle fixée au 1° de l'article L. 556-1 bénéficie, à sa demande et sous réserve de son aptitude physique, d'une prolongation d'activité jusqu'à l'âge fixé au même 1°", soit soixante-sept ans.

En revanche, le bénéfice de la prolongation d’activité prévue à l’article L. 556-5 du même code, pour les fonctionnaires atteignant l’âge limite applicable à leur corps après une carrière incomplète, est prononcé à la demande de l'agent sous une double réserve : celle de son aptitude physique et celle de l’intérêt du service, qui n'est pas mentionnée à l'article L. 556-7.

Le Conseil d’État a alors jugé que "ces deux dispositions concernent des fonctionnaires qui sont placés, eu égard à la limite d'âge qui leur est applicable ou à leur durée de cotisation, dans des situations différentes, et la différence de traitement qui résulte de l'application des dispositions des articles L. 556-5 et L. 556-7 est en rapport direct avec leur objet respectif".

Il a, en outre, relevé que "le fonctionnaire dont la limite d'âge est inférieure à celle fixée au 1° de l'article L. 556-1 et qui atteint cette limite d'âge sans avoir bénéficié d'une carrière complète peut, s'il s'est vu refuser une prolongation au titre de l'article L. 556-5, prétendre à celle prévue à l'article L. 556-7".

Jugeant cette question prioritaire de constitutionnalité ni nouvelle ni sérieuse, le Conseil d'État a décidé de ne pas la transmettre au Conseil constitutionnel.

Congé de longue durée et congé d’office

  • Placement d’office en congé de longue maladie dans l’attente de l'avis du conseil médical – Renouvellement conditionné à la vérification de ce que l'état de santé de l'agent rend toujours impossible l'exercice de ses fonctions

CAA Douai, 6 novembre 2024, n° 23DA00806

Par cinq arrêtés des 26 juin 2020, 23 juillet 2020, 1er février 2021, 23 février 2021 et 31 mars 2021, un fonctionnaire avait été placé en congé de maladie d’office dans l’attente de l’avis du comité médical départemental. Puis, après un avis favorable rendu par le comité médical le 16 avril 2021, il avait été placé, par un arrêté du 30 avril 2021, en congé de longue maladie d’office du 2 juillet 2020 au 1er mai 2021.

Le requérant contestait devant le tribunal administratif, puis la cour administrative d’appel, les trois derniers arrêtés prolongeant son congé de maladie d’office, ainsi que l’arrêté du 30 avril 2021 le plaçant en congé de longue maladie d’office.

En premier lieu, s’agissant des prolongations du congé de maladie d’office prononcées dans l’attente de l’avis du comité médical, la cour administrative d’appel a commencé par rappeler la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle "lorsque l'administration a engagé une procédure de mise en congé de longue maladie conformément à l'article 34 du décret [n° 86-442] du 14 mars 1986, elle peut, à titre conservatoire et dans l'attente de l'avis du comité médical sur la mise en congé de longue maladie, placer l'agent concerné en congé d'office lorsque la maladie de l'agent a été dûment constatée et le met dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions" (cf. CE, 8 avril 2013, n° 341697, aux tables du recueil Lebon).

Elle a ensuite estimé, contrairement aux premiers juges, que si l’administration avait "pu régulièrement, à titre conservatoire et dans l'attente de l'avis du comité médical départemental, prolonger une première fois le congé de maladie d'office de l'agent pour une durée de six mois en se fondant sur un rapport d'expertise psychiatrique en date du 7 septembre 2020 remis par un médecin psychiatre agréé ayant conclu que son état de santé nécessitait l'octroi d'un congé de longue durée équivalent à cette durée", elle ne pouvait prolonger, par les arrêtés des 1er février, 23 février et 31 mars 2021, "le placement de l'intéressé en congé de maladie d'office sans avoir préalablement sollicité un nouvel élément ou avis médical actualisé lui permettant de vérifier que l'état de santé de l'agent rendait toujours impossible l'exercice de ses fonctions".

En second lieu, le requérant, pour contester l’arrêté du 30 avril 2021 le plaçant en congé de longue maladie d’office, faisait notamment valoir qu’aucun élément ne permettait d’établir que son état de santé justifiait un congé de longue maladie pour toute la période considérée, notamment entre le 2 janvier 2021 et le 1er mai 2021.

La cour a toutefois estimé que s’il ressortait de l’avis du médecin du travail du 13 novembre 2020 le constat d'une amélioration de la situation médicale de l’intéressé et de la nécessité d’effectuer une médiation au sein de l’établissement dans le cadre d’une reprise d’activité de celui-ci, "ce médecin n'en [avait] pas moins préconisé la poursuite d'un suivi spécialisé avec son thérapeute, médecin psychiatre. Or, (…), l'attestation datée du 19 novembre 2020 de ce praticien ne saurait être regardée comme déterminante dès lors que, s'il se déclar[ait] favorable à une reprise du travail, il conditionn[ait] toutefois cette reprise, outre à un changement de lieu d'affectation, à une reprise d'un traitement médical que l'intéressé avait interrompu et à la nécessité d'entretiens réguliers dans le cadre de la poursuite d'une prise en charge thérapeutique et à l'évocation d'un mi-temps thérapeutique".

La cour a ainsi jugé que : "Compte tenu de ces nombreuses réserves médicales émises par le thérapeute qui le suit depuis novembre 2015, et quand bien même le médecin de prévention, dans un avis complémentaire à son rapport, rendu à l'issue d'un nouvel entretien avec l'agent ayant eu lieu le 1er mars 2021, a évoqué une possibilité de reprise du travail dans un autre établissement, les membres du conseil médical (…) ont pu retenir que l'état de santé de l'intéressé justifiait que lui soit octroyé un congé de longue maladie pour toute la période considérée."

Infirmant partiellement le jugement rendu en première instance, la cour administrative d’appel a annulé les trois derniers arrêtés prolongeant le congé de maladie d’office dans l’attente de l’avis du comité médical et rejeté les conclusions dirigées contre l’arrêté du 30 avril 2021 plaçant le requérant en congé de longue maladie d’office.

N.B. : Il convient de rappeler que si l’administration doit attendre, lorsqu'il est obligatoire, l’avis du conseil médical ou, le cas échéant, du conseil médical supérieur, avant de prendre sa décision, elle est néanmoins tenue de placer l’agent dans une position statutaire régulière en prenant, à titre provisoire, une décision le plaçant dans l’une des positions prévues par son statut (cf. CE, 24 février 2006, Commune de Lapradelle-Puilaurens, n° 266462, au recueil Lebon ; également, dans le cas où l’agent aurait épuisé ses droits à congé de maladie ordinaire : CE, 28 novembre 2014, n° 363917, aux tables du recueil Lebon).

Imputabilité au service

  • Accident de service – Commission de réforme – Absence de médecin spécialiste

CAA Lyon, 7 novembre 2024, n° 23LY02461

Un professeur avait établi une déclaration d’accident de service en se prévalant de troubles psychologiques consécutifs à un entretien qu'il avait eu avec l’inspecteur d’académie et à la réception, quelques jours plus tard, d’un rapport rédigé par la proviseure de son établissement à destination du recteur d’académie. Éclairé par un avis défavorable de la commission de réforme départementale, le recteur d’académie avait refusé, en septembre 2020, de reconnaître l’imputabilité au service des deux accidents dont l'enseignant estimait avoir été victime ainsi que des différents arrêts de travail de l’intéressé en découlant.

Le professeur a contesté, en vain, devant la cour administrative d'appel de Lyon, le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ayant rejeté sa demande d'annulation du refus d'imputabilité au service.

La cour a, en particulier, écarté le moyen tiré de ce que la commission de réforme départementale s’était prononcée malgré l’absence d’un médecin spécialiste.

En effet, elle a d’abord rappelé qu’en application combinée des dispositions des articles 5, 6 et 12 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l’organisation des conseils médicaux, aux conditions d’aptitude physique pour l’admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans leur version applicable au litige, "lorsqu’une commission de réforme départementale statue sur une demande d’un agent, alors même que cette demande ne porte pas sur l’octroi d’un congé de longue durée ou de longue maladie, elle doit en principe comporter un spécialiste compétent pour l’affection principale dont il est atteint et au titre de laquelle est formulée cette demande".

Toutefois, en l’espèce, la commission de réforme s’étant "bornée à constater que la situation de M. X n’entrait pas dans le champ des accidents de service" et l’administration ayant "refusé de reconnaître l’imputabilité au service de la pathologie de [l’intéressé] au motif que sa pathologie s’était développée à la suite d’événements relevant du "champ normal des relations de régulation entre un enseignant et sa hiérarchie"", la cour administrative d’appel a jugé que l’absence d’un médecin spécialiste, un médecin psychiatre en l’espèce, n’avait pu "ni priver M. X d’une garantie ni exercer une influence sur le sens de la décision prise" au sens de la jurisprudence Danthony (CE, Assemblée, 23 décembre 2011, n° 335033, au recueil Lebon).

Par ailleurs, la cour a également écarté l’ensemble des autres moyens soulevés par le requérant.

Elle a d’abord rappelé que les avis rendus par la commission de réforme ne figurent pas au nombre des décisions devant être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration.

Elle a ensuite écarté le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la décision de refus du recteur d’académie.

Elle a également jugé, par adoption des motifs des premiers juges, que le recteur n'était pas tenu de diligenter une enquête après la déclaration d’accident de service de l'enseignant.

Enfin, après avoir cité la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle : "Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches, ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent" (CE, 27 septembre 2021, Ministre des armées, n° 440983, aux tables du recueil Lebon, LIJ n° 217, novembre 2021), la cour a jugé que le requérant n’était pas fondé à soutenir qu’il aurait été victime d’un accident de service au sens de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, alors en vigueur.

Elle a en effet estimé que : "Ni les propos (…) par lesquels l’inspecteur d’académie [avait] rappelé à M. X les raisons pour lesquelles une inspection avait été demandée par la proviseure de l’établissement, ni le rapport rédigé par cette dernière (…) qui fai[sait] état d’accusations de racisme et de gestes équivoques ainsi que d’insultes envers des élèves et de discrimination dont auraient fait l’objet des élèves handicapés, [n’avaient], en l’espèce, excédé l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, et ce, malgré la surprise que ces éléments [avaient] pu créer pour lui et le fait qu’il en contest[ait] la réalité."

N.B. : Depuis l'intervention du décret du 11 mars 2022 relatif aux conseils médicaux dans la fonction publique de l'État, modifiant notamment le décret du 14 mars 1986, des conseils médicaux ont été substitués aux comités médicaux et aux commissions de réforme. La procédure devant les conseils médicaux ne prévoit plus la participation d'un médecin spécialiste de l'affection en cause.

Primes et indemnités

  • Professeur – Participation à un jury d’examen scolaire – Charge normale d'emploi – Rémunération

TA Marseille, 11 décembre 2024, n° 2111251

Une professeure agrégée de l'enseignement du second degré, convoquée pour participer à un jury d’examen de l’épreuve orale du diplôme national du brevet, avait demandé, en vain, à être rémunérée à hauteur de cinq heures de travail pour sa participation à cette épreuve et de trois heures supplémentaires pour le travail effectué en sus.

Le tribunal administratif de Marseille a rappelé que l’article D. 911-31 du code de l’éducation prévoit que la participation aux jurys des examens et concours des personnels des établissements d’enseignement relevant du ministère de l’éducation nationale pour lesquels ils sont qualifiés par leurs titres ou emplois est une obligation, cette participation étant considérée comme une "charge normale d’emploi".

Si la requérante avait revendiqué le paiement de cinq heures d’interrogation, en se prévalant de l’arrêté du 13 avril 2012 fixant la rémunération des intervenants participant à titre d’activité accessoire à des activités liées au fonctionnement de jurys d’examens conduisant à la délivrance de diplômes ou certificats relevant du ministre chargé de l'éducation nationale, pris pour l'application de l'article 4 du décret du 5 mars 2010 relatif à la rémunération des agents publics participant, à titre d'activité accessoire, à des activités de formation et de recrutement, le tribunal administratif a considéré que "cet arrêté n’est pas applicable aux professeurs titulaires pour lesquels la participation aux jurys des examens et concours est une charge normale d’emploi", et non une activité accessoire.

Le tribunal a jugé que : "À supposer même que la requérante ait bénéficié d'une autorisation d’absence destinée à participer à ce jury d’examen, (…) la rémunération accessoire prévue par l’arrêté du 13 avril 2012 étant exclusive de toute autre rémunération versée au titre de la même activité, elle ne saurait s’en prévaloir dès lors qu’elle ne conteste pas ne pas avoir perçu, dans le même temps, de rémunération au titre de son activité principale d’enseignement."

Par ailleurs, s’agissant des heures supplémentaires réclamées à titre de dédommagement pour les démarches qu’elle aurait effectuées en sus, le tribunal a retenu que l'enseignante "ne produi[sait] aucun document de nature à démontrer la réalité de l’accomplissement de ces heures ou des démarches réalisées" et a considéré que, "en tout état de cause, les heures supplémentaires ne sauraient avoir pour objet de la dédommager d’un quelconque préjudice".

Dès lors, le tribunal administratif de Marseille a estimé que la décision de rejet de la demande de la requérante d'être rémunérée pour les heures accomplies dans le cadre de sa participation à un jury d’examen du diplôme national du brevet n’était pas entachée d’illégalité.

Procédure

  • Droits de la défense – Article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – Droit de se taire – Information préalable du droit de se taire – Sanction reposant de manière déterminante sur des propos tenus par l'agent non informé de son droit de se taire – Enquêtes et inspections diligentées hors du cadre d'une procédure disciplinaire

CE, Section, 19 décembre 2024, n° 490157, au recueil Lebon

Par cette décision, le Conseil d'État rappelle, comme l'avait fait le Conseil constitutionnel avant lui (cf. Cons. const., 26 juin 2024, n° 2024-1097 QPC, pour les magistrats judiciaires, et 4 octobre 2024, n° 2024-1105 QPC, pour les fonctionnaires et agents contractuels), que le principe énoncé à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, s'applique non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

Rendue à propos d'une sanction infligée à un magistrat judiciaire appartenant au parquet, la décision du 19 décembre 2024 confirme l'application aux procédures disciplinaires concernant les agents publics de l'obligation de notification aux intéressés du droit de se taire. Elle apporte par ailleurs d'importantes précisions, dont certaines viennent aménager la portée de cette obligation.

À l'appui de sa demande d'annulation d'une décision du garde des sceaux, ministre de la justice, prononçant à son encontre à titre disciplinaire la sanction de déplacement d'office, un magistrat du parquet soutenait que l'absence de notification du droit qu'il avait de se taire, à plusieurs moments de la procédure, entachait d'illégalité la sanction litigieuse.

Le Conseil d'État a tout d'abord posé le cadre juridique applicable au droit de se taire dans la procédure disciplinaire des agents publics.

Le Conseil d'État a rappelé le principe énoncé à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, et le principe du droit de se taire, qui découle du précédent, en précisant que ces principes s'appliquent à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

Le Conseil d'État a ainsi exclu du champ du droit de se taire les "échanges ordinaires avec les agents dans le cadre de l'exercice du pouvoir hiérarchique" ainsi que les "enquêtes et inspections diligentées par l'autorité hiérarchique et par les services d'inspection ou de contrôle, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des manquements commis par un agent".

En revanche, il a réservé l’hypothèse particulière "où l'autorité disciplinaire a déjà engagé une procédure disciplinaire à l'encontre d'un agent et que ce dernier est ensuite entendu dans le cadre d'une enquête administrative diligentée à son endroit", en considérant que dans ce cas, l’agent devait être informé de son droit de se taire.

À cet égard, le Conseil d’État a également pris soin de réserver l’hypothèse d’un "détournement de procédure", qui vise par exemple les cas où l’administration diligenterait une procédure disciplinaire sous couvert soit d’une enquête administrative, soit d’"échanges ordinaires" avec l’agent, ou recourrait à des procédés déloyaux. Ainsi, le Conseil d’État considère que, dans une telle hypothèse, l’obligation d’informer l’agent de son droit de se taire s’applique.

En outre, sur le plan des incidences contentieuses, le Conseil d’État a apporté de très importantes précisions dont il découle que le défaut d'information de l'agent quant à son droit au silence n'entraîne pas nécessairement l'annulation de la sanction prise au terme de la procédure.

Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il avait de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes exposés ci-dessus, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.

Ainsi que l'a précisé la rapporteure publique dans ses conclusions (accessibles sur ArianeWeb) sur cette décision, "si rien n'est véritablement découvert, si les propos tenus ne dévoilent rien d'autre que ce qui était déjà connu ou même seulement suspecté, mais qui peut être également confirmé par des éléments objectifs ou des témoignages présents au dossier, la garantie découlant du droit de se taire (…) n'est pas méconnue".

En l'espèce, le magistrat avait été entendu par des inspecteurs généraux sur les faits faisant l'objet de la procédure disciplinaire, sans qu'il ait été informé du droit qu'il avait de se taire, dans le cadre d'une enquête administrative menée postérieurement à l'engagement des poursuites disciplinaires.

Le Conseil d'État, faisant application du cadre juridique qu'il venait de fixer, a considéré qu'il ressortait des éléments factuels et des témoignages de tiers, non contestés par l'intéressé, que la sanction prononcée à son encontre ne se fondait pas de manière déterminante sur les propos qu'il avait tenus dans le cadre de cette enquête, et que : "Dans ces conditions, eu égard au principe énoncé au point 4, le moyen tiré de ce que l'absence de notification à M. X du droit qu'il avait de se taire lors de l'enquête administrative menée par l'[inspection générale de la justice] entacherait d'illégalité la sanction litigieuse d[evait] être écarté."

Par ailleurs, une enquête disciplinaire avait été menée par un rapporteur, membre de la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature chargée d'émettre un avis motivé sur la sanction que les faits reprochés au magistrat lui paraissaient entraîner. Or, il ressortait du procès-verbal de l'audition du magistrat par le rapporteur que l'intéressé avait été informé, à titre liminaire, que "tant lors de son audition par le rapporteur que lors de l'audience au fond [devant la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature], il pouvait faire des observations, répondre aux questions ou se taire".

Le Conseil d'État a déduit de ces éléments que : "Compte tenu de l'information ainsi donnée, la circonstance que M. X n'ait pas été à nouveau informé de la possibilité qu'il avait de se taire lors de la comparution devant le Conseil supérieur de la magistrature n'a pas entaché d'irrégularité la procédure ayant conduit à l'avis émis sur la sanction contestée."

Enfin, si le requérant soutenait également que le ministre de la justice aurait dû lui notifier, en sa qualité d'autorité disciplinaire, son droit de se taire préalablement à l'édiction de la sanction qui lui avait été infligée, le Conseil d'État a considéré, pour écarter ce moyen, qu'il ne ressortait pas des dispositions applicables à la procédure disciplinaire concernant les magistrats du parquet que l'autorité disciplinaire devait entendre le magistrat intéressé avant de prononcer une sanction à son encontre, et que ce dernier ne soutenait d'ailleurs pas que tel aurait été le cas.

La procédure disciplinaire n'étant pas entachée d'irrégularité et la sanction étant fondée, le Conseil d'État a rejeté la requête.

À noter qu'à la suite de cette décision de Section, le juge des référés du Conseil d'État a jugé le 23 décembre 2024 qu'un administrateur de l'État n'était pas fondé à soutenir qu'était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la sanction d'exclusion temporaire de fonctions dont il avait fait l'objet le moyen tiré de ce que la décision aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière au motif que l'intéressé "n'[avait] été informé de son droit de se taire que lors de son audition devant le conseil de discipline, et non au cours de l'enquête administrative ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire dont il [avait] fait l'objet" (JRCE, n° 499083).

Enfin, par une autre décision de Section du 19 décembre 2024, qui concernait l'application du droit de se taire dans le cadre d'une procédure disciplinaire ayant conduit à une sanction de suspension du droit d'exercer sa profession pendant une durée de deux ans infligée à un vétérinaire par une chambre régionale de discipline de l'ordre des vétérinaires, le Conseil d'État a considéré que lorsque la personne poursuivie disciplinairement n'a pas été informée de ce droit, il n'est pas possible pour la juridiction disciplinaire, sous peine de commettre une erreur de droit, de se déterminer en se fondant sur la circonstance que l’intéressé a reconnu les faits en cause lors de son audition par le rapporteur désigné pour conduire l'instruction par la juridiction (CE, Section, n° 490952, au recueil Lebon).

Sanctions

  • Exclusion temporaire de fonctions – Référé-suspension – Condition d'urgence – Privation de traitement supérieure à un mois

CE, 18 décembre 2024, n° 492519, aux tables du recueil Lebon

Une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions de deux ans, assortie d’un sursis d’un an, avait été prononcée à l’encontre d’un agent public territorial par le président du conseil départemental. L’agent sanctionné avait demandé au juge des référés du tribunal administratif d’Amiens la suspension de l’exécution de cette sanction, qui revenait à le priver de traitement durant douze mois.

En application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés de première instance avait rejeté la demande du requérant pour défaut d’urgence, considérant que l’intéressé ne justifiait pas de ce que la privation de son traitement durant douze mois était de nature à bouleverser ses conditions d’existence et ne démontrait pas une atteinte suffisamment grave à sa situation pour que soit caractérisée une situation d’urgence.

Le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi en cassation, s'est prononcé sur la question de savoir si la condition d’urgence pouvait être considérée comme remplie dès lors qu'une sanction disciplinaire avait pour effet de priver l'agent de la totalité de sa rémunération pendant douze mois.

Le Conseil d’État admet de longue date que l’urgence pouvait être caractérisée par le défaut de versement du traitement d’un fonctionnaire (cf. CE, 6 avril 2001, France Télécom, n° 230338, aux tables du recueil Lebon ; JRCE, 22 juin 2001, n° 234434, aux tables du recueil Lebon ; JRCE, 18 décembre 2001, n° 240061, au recueil Lebon).

Cette position de principe est réaffirmée dans cette décision commentée du 18 décembre 2024 qui fait mention, pour la première fois, d’un critère de durée de la privation de rémunération – laquelle doit excéder un mois – pour caractériser l’atteinte grave et immédiate à la situation de l’intéressé.

Ainsi, après avoir rappelé que la condition d’urgence doit être regardée comme remplie lorsque l’exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre, le Conseil d’État a estimé que : "Une mesure prise à l'égard d'un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l'agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce."

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État a jugé que le requérant était fondé à demander la suspension de l’exécution de sa sanction disciplinaire, considérant, d’une part, que l’administration ne faisait état d’aucune circonstance particulière ni d’aucun intérêt public de nature à s’opposer à ce que la condition d’urgence soit regardée comme étant remplie, et, d’autre part, que le moyen tiré de ce que la décision attaquée avait été rendue au terme d’une procédure irrégulière, dès lors que l'intéressé n’avait pas été informé de son droit de se taire lors de sa comparution devant le conseil de discipline, paraissait, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse.

Si cette décision a été rendue à propos d'une sanction disciplinaire infligée à un agent de la fonction publique territoriale, la solution adoptée paraît pouvoir être étendue à la fonction publique de l'État.

  • Déplacement d’office – Exigence de loyauté de l'employeur à l'égard de ses agents dans l'administration de la preuve en matière disciplinaire – Propos grossiers et menaçants d'un professeur enregistrés à son insu par ses élèves

CAA Marseille, 25 novembre 2024, n° 23MA01049

Une sanction disciplinaire de déplacement d’office avait été infligée à un professeur agrégé de l’enseignement du second degré auquel il était reproché de tenir à ses élèves des propos à caractère grossier, menaçant ou insultant vis-à-vis de ses élèves et de ses collègues. Le professeur a contesté, en vain, la légalité de la sanction devant le tribunal administratif de Nice, puis devant la cour administrative d'appel de Marseille.

En l’espèce, des élèves avaient, pendant un cours, enregistré à son insu les propos tenus par ce professeur et communiqué spontanément les enregistrements à la direction de l’établissement scolaire. L'administration avait diligenté une enquête puis, se fondant sur le rapport de la mission d'inspection, qui rappelait de manière détaillée l'ensemble des propos du professeur enregistrés par ses élèves et comprenait des attestations, infligé au professeur la sanction de déplacement d'office.

Devant la cour, le professeur avait notamment remis en cause les conditions dans lesquelles les propos qui lui étaient reprochés par l'autorité disciplinaire avaient été rapportés, sans contredire la réalité des faits. Ce moyen avait trait, non pas à la régularité de la procédure disciplinaire, mais au caractère probant des éléments ayant fondé la sanction.

La cour a estimé, en relevant en particulier que les élèves avaient spontanément communiqué à l'administration les enregistrements litigieux, que l'administration n'avait pas, en se fondant sur ces enregistrements, manqué à son obligation de loyauté, en considérant que "les propos tenus par [l'enseignant] pendant ses cours ne constituaient ni des propos privés ni des propos à caractère confidentiel, dont l'enregistrement aurait été prohibé par l'application des dispositions de l’article L. 226-1 du code pénal."

Le requérant se bornant à faire état d'"insuffisances formelles des attestations et enregistrements" sur lesquels était fondée la sanction disciplinaire, sans contester ni la matérialité des propos qui lui étaient imputés ni la date des enregistrements, la cour a considéré que : "Dans ces conditions et dès lors qu'ainsi qu'il a été dit, la preuve des fautes disciplinaires peut être apportée par tout moyen, la matérialité des griefs qui lui sont reprochés doit être tenue pour établie."

La cour a considéré que les propos grossiers, insultants, voire menaçants tenus par le professeur à l'égard d'élèves, de collègues enseignants et du personnel de direction du lycée constituaient des manquements aux obligations de dignité et de discrétion professionnelle qui incombent à tout fonctionnaire, et elle a estimé qu'au regard de la nature des propos tenus, la sanction de déplacement d’office n'était pas disproportionnée.

Incapacité (condamnation pénale…)

  • Enseignement privé – Professeur – Incapacité résultant d’une condamnation pénale (art. L. 911-5 du code de l’éducation) – Violence sur des élèves – Résiliation du contrat d’enseignement

TA Lille, 15 novembre 2024, n° 2107153

Une professeure des écoles de l’enseignement privé avait vu son contrat d’enseignement résilié par la rectrice de l’académie de Lille, en application de l’article L. 911-5 du code de l’éducation, à la suite de sa condamnation à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de violences volontaires commis sur trois mineurs de moins de quinze ans par une personne ayant autorité sur les victimes.

Saisi d’un recours en annulation contre cette décision, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de l’intéressée.

Après avoir cité le 1° du I de l'article L. 911-5 du code de l'éducation qui prévoit que : "Sont incapables de diriger un établissement d'enseignement du premier ou du second degré ou tout établissement de formation accueillant un public d'âge scolaire, qu'il soit public ou privé, ou d'y être employés, à quelque titre que ce soit : / (…) [les personnes] qui ont été définitivement condamnées par le juge pénal pour crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs", le tribunal a précisé que "les dispositions de l'article L. 911-5 du code de l'éducation, dépourvues de caractère répressif, ont pour objet d'assurer que les professionnels appelés à diriger un établissement d'enseignement ou à y être employés présentent les garanties de moralité indispensables à l'exercice des fonctions d'enseignement public, et de garantir la sécurité des élèves. À cet égard, des faits de violences commis par des enseignants à l'encontre d'élèves qui ont donné lieu à une condamnation pénale définitive doivent, eu égard à l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux intéressés dans leurs relations avec les élèves, et compte tenu du lien de confiance qui doit les unir à ces derniers et à leurs parents, être regardés comme contraires à la probité et aux bonnes mœurs au sens des dispositions précitées".

Puis, le tribunal a jugé que l'administration avait pu à bon droit considérer que les faits de violence à l'encontre d'élèves, pour lesquels avait été condamnée l'enseignante, "bien que ne constituant pas une infraction de nature sexuelle, étaient contraires à la probité et aux bonnes mœurs, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 911-5 du code de l'éducation, et que sa condamnation pénale pour ce délit suffisait à justifier la résiliation de son contrat d'enseignement pour exercer des fonctions de professeure des écoles du fait de la rupture de ses liens avec son service".

Enfin, la circonstance que l’intéressée avait fait l’objet, préalablement à sa condamnation pénale, d’une sanction disciplinaire du premier groupe pour les mêmes faits était sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

Sports

Organisation

  • Décisions des fédérations sportives – Juridiction compétente – Conditions de délivrance de la licence sportive – Accès aux compétitions

CE, 1er octobre 2024, n° 492254

Le requérant demandait au Conseil d’État d’annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la Fédération française de boxe (FFBoxe) sur sa demande d'abrogation de l’article 18, alinéa 3, de ses règlements généraux, qui interdit à une personne ayant adhéré à plusieurs associations sportives affiliées à la Fédération de se voir délivrer une licence par l'intermédiaire de plus d’une d'entre elles.

S’agissant de la compétence de la juridiction administrative pour connaître du litige, le Conseil d’État a relevé, dans la continuité de sa jurisprudence Figeac Athlétisme Club (CE, 29 septembre 2003, n° 240639, au recueil Lebon), que : "[Les] dispositions [en cause], (…) [ayant] trait aux conditions de délivrance de la licence nécessaire à la participation aux activités et compétitions organisées par la [FFBoxe] et ses structures affiliées, se rattach[aient] à l'exercice des prérogatives de puissance publique que la Fédération tient de la délégation ministérielle qui lui a été octroyée", en vertu de l’article L. 131-14 du code du sport. Il a donc écarté l’argumentation de la FFBoxe selon laquelle le juge administratif n’était pas compétent pour connaître des conclusions de la requête.

Cette décision s’inscrit, de manière plus générale, dans la lignée jurisprudentielle qui considère que si les décisions prises par les fédérations sportives sont, en principe, des actes de droit privé, celles qui procèdent de l’usage par les fédérations délégataires des prérogatives de puissance publique qui leur ont été conférées pour l’accomplissement des missions de service public administratif prévues aux articles L. 131-15 et L. 131-16 du code du sport présentent le caractère d’actes administratifs (cf. CE, Section, 22 novembre 1974, Fédération des industries françaises d’articles de sport, n° 89828, au recueil Lebon), y compris lorsque ces décisions sont édictées par leurs statuts (CE, 15 mars 2023, Ligue de billard d’Île-de-France et autres, n° 466632, aux tables du recueil Lebon, LIJ n° 226, juillet 2023).

En outre, le Conseil d’État confirme ici la "logique de bloc de compétences" implicitement dégagée dans une précédente décision du 27 juin 2024 (n° 490105, aux tables du recueil Lebon), qui implique que : "Le lien de nécessité entre la détention d’une licence et la participation aux compétitions officielles suffit à attraire les règles encadrant la délivrance des licences fédérales dans le champ des prérogatives de puissance publique, relevant de [la] compétence [du juge administratif], plutôt que dans celui du fonctionnement interne de la fédération, relevant du juge judiciaire" (Cf. conclusions de la rapporteure publique sur la décision ici commentée, accessibles sur ArianeWeb).

Ainsi, les litiges relatifs à l’octroi de la licence sportive, dès lors que celle-ci conditionne l’accès aux compétitions officielles organisées par une fédération délégataire, relèvent de la compétence du juge administratif.

Sur le fond, le Conseil d’État a jugé qu’en prévoyant qu'une personne ne pouvait être licenciée que par l’intermédiaire d'une seule association sportive affiliée, les dispositions litigieuses ne portaient pas une atteinte excessive au principe de libre accès aux activités sportives ni à la liberté d'association, "compte tenu de l'intérêt général qui s'attache à la régularité et à la sincérité des compétitions sportives ainsi qu'au bon fonctionnement de la vie démocratique de la Fédération et de la circonstance [que ces dispositions] ne font pas obstacle à la possibilité pour toute personne d'adhérer à plusieurs associations sportives ni de pratiquer la boxe et de participer aux activités de la Fédération".

Le Conseil avait déjà jugé, en se fondant sur l'intérêt général qui s'attache à la mission d'organisation de la pratique sportive confiée aux fédérations et sur la circonstance qu'une adhésion à une association affiliée à une fédération ne constitue pas une condition nécessaire à la pratique d'une activité sportive, que l’article L. 131-6 du code du sport ne porte pas d’atteinte excessive à la liberté d’association en prévoyant que les statuts des fédérations sportives peuvent imposer que les membres adhérents des associations affiliées soient titulaires d'une licence sportive (cf. CE, 7 mars 2018, Association Cournon Karaté et Union française des œuvres laïques d'éducation physique, n° 406811 et n° 406812).

Par ailleurs, dans deux décisions liées du 27 juin 2024, n° 489391 (aux tables du recueil Lebon) et n° 490105 (déjà mentionnée), le Conseil d’État avait annulé deux décisions de la Fédération française de rugby relatives à ses règlements généraux.

Dans la première espèce, le Conseil d’État avait jugé qu’une fédération sportive délégataire ne pouvait légalement prévoir, dans ses règlements généraux, l’obligation, pour toute personne souhaitant obtenir une licence en vue de participer aux compétitions organisées par la fédération, de souscrire un contrat d'assurance de personne couvrant les dommages corporels, le législateur ayant exclu, en déterminant aux articles L. 321-1 et suivants du code du sport les règles applicables aux garanties assurantielles nécessaires à la pratique sportive dans le cadre d'associations ou de fédérations sportives, qu'une fédération puisse exercer son pouvoir règlementaire dans ce domaine en vue d'imposer à ses licenciés la souscription d'une assurance personnelle couvrant les dommages corporels auxquels cette pratique est susceptible de les exposer.

Dans la seconde espèce, il avait jugé que la Fédération ne pouvait légalement conditionner la délivrance de la licence de certaines catégories de personnes investies de fonctions officielles à l’obligation de s’abonner à une revue d’information sur le rugby qui ne revêtait pas le caractère d’un "bulletin officiel", une telle disposition n’étant pas justifiée par l’organisation et le fonctionnement du service public qui lui a été confié.

Enfin, dans une troisième décision du même jour, s’agissant de la limitation, par une fédération délégataire, de l’accès aux compétitions individuelles des championnats de France aux seuls joueurs titulaires d'une carte d'identité ou d'un passeport français, le Conseil d’État a écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe de non discrimination garanti par l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, du principe d’égalité et du principe de libre accès aux activités sportives, une telle restriction étant justifiée par l'objectif de distinguer les meilleurs joueurs nationaux en leur décernant les titres de champion de France et étant, au regard de ses effets limités sur la pratique en compétition, nécessaire et proportionnée à cet objectif (cf. CE, 27 juin 2024, n° 491138, aux tables du recueil Lebon).

Consultations

Principes généraux

Enseignement supérieur

  • Principe de neutralité religieuse – Personnes participant à une mission de service public – Stagiaires, doctorants CIFRE et personnels rémunérés par une structure publique étrangère

Note DAJ B2 n° 2024-012734 du 6 décembre 2024

La direction des affaires juridiques a été interrogée au sujet des règles applicables à certaines personnes intervenant au sein des établissements publics d’enseignement supérieur et des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) en matière de laïcité.

Il était question plus précisément de l’application du principe de neutralité religieuse aux personnes exerçant une activité au sein de ces établissements publics, sans appartenir à son personnel, et notamment aux stagiaires, aux doctorants bénéficiaires d’une convention industrielle de formation par la recherche (dits "doctorants CIFRE"), ainsi qu'aux doctorants, postdoctorants et chercheurs rémunérés par une structure étrangère publique.

1. L’article 1er de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République prévoit qu’il appartient à tout organisme de droit public ou de droit privé chargé de l’exécution d’un service public de veiller "à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public, s'abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité (…) [et] à ce que toute autre personne à laquelle il confie, en tout ou partie, l'exécution du service public s'assure du respect de ces obligations".

En prélude de l’intervention du législateur, la Cour de cassation avait déjà jugé que les agents de droit privé peuvent, à raison des missions qu’ils accomplissent, être soumis à l’obligation de neutralité religieuse lorsqu’ils "participent à une mission de service public", et ceci "y compris lorsque [les services publics] sont assurés par des organismes de droit privé" (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 12-11690, au Bulletin).

De même, le Conseil d’État a jugé "que les instituts de formation paramédicaux étant des établissements d'enseignement supérieur, leurs élèves ont, lorsqu'ils suivent des enseignements théoriques et pratiques en leur sein, la qualité d'usagers du service public ; (…) qu'ils sont, en cette qualité, sauf lorsqu'ils suivent un enseignement dispensé dans un lycée public [où s'applique l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation], libres de faire état de leurs croyances religieuses, y compris par le port de vêtements ou de signes manifestant leur appartenance à une religion, sous réserve de ne pas perturber le déroulement des activités d'enseignement et le fonctionnement normal du service public, notamment par un comportement revêtant un caractère prosélyte ou provocateur ; / (…) que lorsqu'ils effectuent un stage dans un établissement de santé chargé d'une mission de service public, les élèves infirmiers doivent respecter les obligations qui s'imposent aux agents du service public hospitalier ; que s'ils bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination fondée sur la religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils manifestent leurs croyances religieuses dans le cadre du service public (…)" (CE, 28 juillet 2017, n° 390740, n° 390741 et n° 390742, aux tables du recueil Lebon).

Ainsi, quelle que soit la qualité en laquelle elle intervient, toute personne participant à une mission de service public devrait être soumise au respect du principe de laïcité.

2.1. S’agissant de la situation des stagiaires, il résulte des termes du troisième alinéa de l’article L. 124-1 du code de l'éducation que : "Les périodes de formation en milieu professionnel et les stages correspondent à des périodes temporaires de mise en situation en milieu professionnel au cours desquelles l'élève ou l'étudiant acquiert des compétences professionnelles et met en œuvre les acquis de sa formation (…). Le stagiaire se voit confier une ou des missions conformes au projet pédagogique défini par son établissement d'enseignement et approuvées par l'organisme d'accueil."

Partant, il peut être déduit de cette disposition que le stagiaire, à la différence de l’étudiant accueilli en période d’observation dans le cadre prévu à l’article L. 124-3-1 du même code, a vocation à participer à l’exécution de missions de service public qui lui sont confiées par l’établissement public qui l’accueille, et qu’il est, en conséquence, soumis au principe de neutralité applicable aux agents publics.

2.2. En ce qui concerne les doctorants CIFRE, ils sont inscrits dans l’école doctorale de rattachement du laboratoire dans lequel ils réalisent leur thèse. Ils sont, par ailleurs, liés par un contrat de travail avec une entreprise du secteur privé qui conclut avec l’établissement auquel est rattaché le laboratoire où s’effectuent les travaux doctoraux un contrat de collaboration, qui reçoit une subvention versée par l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT). Les doctorants CIFRE consacrent l’intégralité de leur temps, partagé entre l'entreprise et le laboratoire académique, à leurs travaux de recherche. Ils bénéficient ainsi d'une double formation académique et professionnelle.

Il semble, dès lors, résulter du dispositif CIFRE que le doctorant ne peut se voir confier par le laboratoire d’accueil d’autres missions que celles liées à ses travaux de recherche. Aussi, en effectuant leurs activités de recherche dans un laboratoire public, dont les résultats sont, au moins en partie, utiles aux missions de service public assurées par l’établissement public hébergeant ce laboratoire, les doctorants CIFRE ne peuvent qu’être considérés comme des agents contribuant à ce même service.

Même si le juge administratif n’a jamais été amené à statuer sur la question, la direction des affaires juridiques est donc d’avis qu’ils sont soumis au respect du principe de neutralité dans les mêmes conditions.

2.3. Enfin, suivant le même raisonnement, s’agissant des doctorants, postdoctorants et chercheurs rémunérés par une structure étrangère publique, il semble là encore qu’ils peuvent également être soumis au principe de neutralité.

En effet, alors même que, en tant qu'étrangers, ils ne sont pas des agents publics soumis à la législation française et ne sont donc pas, en principe, tenus à l'obligation de neutralité dont il est question à l'article L. 121-2 du code général de la fonction publique, dès lors que leur intervention dans les locaux de l’établissement public a pour objet de contribuer aux missions conduites par ce dernier, ils doivent se conformer à l’exigence de neutralité. Il en va différemment lorsque ces personnes étrangères se contentent de visiter l’établissement ou accomplissent des stages d’observation.

2.4. En dernier lieu, il faut rappeler que des restrictions à la liberté de manifestation de leurs opinions religieuses ou de leurs convictions peuvent toujours être imposées aux usagers et tiers du service public pour des considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service (cf. Étude demandée par le Défenseur des droits le 20 septembre 2013, adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’État le 19 décembre 2013 ; également, CE, nos 390740, 390741 et 390742, susmentionnée, point 1).

Enseignement scolaire

Sorties scolaires

  • Voyages scolaires facultatifs – Financement du coût des accompagnateurs – Principe de gratuité de l’enseignement – Compatibilité avec les statuts d’une association d’élèves ou de parents d’élèves

Note DAJ A1 n° 2024-012839 du 16 décembre 2024

La direction des affaires juridiques a précisé les modalités selon lesquelles le coût du voyage des accompagnateurs d’une sortie scolaire facultative peut être financé par un don d’une association d’élèves ou de parents d’élèves, au regard du principe de gratuité de l’enseignement scolaire public (1.) et des missions de ce type d'organisme (2.). Elle a précisé à cette occasion la réserve tenant à la compatibilité d'un tel don avec les statuts de l’association donataire (cf. note DAJ A1 n° 2016-043 du 24 février 2016, LIJ n° 193, mai 2016).

1. Le principe de gratuité de l’enseignement scolaire public, qui résulte du treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, est rappelé par les articles L. 132-1 et L. 132-2 du code de l’éducation. Il interdit par exemple à une commune de mettre à la charge des familles un "droit de scolarité correspondant à une participation aux dépenses exposées par la commune au titre des fournitures scolaires et d’autres prestations" (cf. CE, 9 novembre 1990, Commune de Compiègne, n° 56049, au recueil Lebon).

Il ne fait cependant pas obstacle à ce que certains frais liés à la scolarisation demeurent à la charge des familles, par exemple pour l’achat d’un ouvrage "venant en complément, même regardé comme indispensable par le collège", dont la mise à la charge des familles par le conseil d'administration (CA) de l'établissement est jugée légale (CE, 27 avril 2012, Ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, n° 352844, au recueil Lebon).

Il ne fait pas davantage obstacle à ce que les familles versent volontairement une contribution financière à un établissement scolaire ou à une association dont l’objet serait de lui apporter un soutien. À cet égard, le Conseil d’État considère qu’une lettre informant les familles qu’elles peuvent contribuer au foyer coopératif d’un collège n’est pas pour autant entachée d’illégalité dès lors qu’aucune obligation de contribution n’y est évoquée (cf. CE, 4 février 2004, n° 253376 ; également, CAA Bordeaux, 17 janvier 2002, n° 99BX02225, qui rappelle que "les établissements publics d'enseignement ne sont pas en droit de réclamer aux familles des contributions correspondant à des dépenses de fonctionnement" et souligne, a contrario, que la contribution à la coopérative scolaire demandée aux familles, légale quant à elle, revêt un caractère facultatif).

S’agissant plus spécifiquement des sorties scolaires, une différence doit être faite entre celles qui, correspondant aux enseignements réguliers, sont obligatoires et celles qui présentent un caractère facultatif et sont susceptibles de s’étendre au-delà de l’emploi du temps scolaire (sur la distinction entre obligatoire et facultatif, cf. CE, 9 novembre 1990, n° 56049, précitée ; ou, relevant cette distinction dans une circulaire ministérielle qui appliquait le principe de gratuité aux sorties scolaires régulières : CE, 12 mars 1999, n° 191405).

La participation des élèves aux premières d’entre elles ne peut conduire à ce que le coût qu’elles représentent pour l’établissement soit mis à la charge des familles ; il en va de même du coût du voyage des accompagnateurs.

En revanche, le principe de gratuité ne paraît pas faire obstacle à ce qu’une contribution soit demandée aux familles pour couvrir le coût du voyage des élèves lorsque leur participation à ce voyage est facultative. C’est ce que rappelle le Guide relatif à l’organisation des sorties et voyages scolaires dans le second degré, diffusé en octobre 2023, qui précise néanmoins que dès lors qu’il représente un coût de fonctionnement pour l’établissement, "le coût de la sortie scolaire des accompagnateurs ne peut être imputé, même indirectement, aux familles".

Le principe de gratuité de l’enseignement public ne fait pas non plus obstacle, par lui-même, à ce que le coût du voyage des accompagnateurs soit couvert par une subvention d’une association ou par des dons (cf. note DAJ A1 n° 2016-043, susmentionnée).

Il est ainsi loisible aux établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) de recourir à une plateforme de financement participatif pour recueillir des dons affectés au financement de la part accompagnateurs, dons pouvant être sollicités auprès des familles à condition que celles-ci restent libres de contribuer ou non au financement (cf. note DAJ A1 précitée).

De même, le principe de gratuité n’interdit pas le financement de la part accompagnateurs d’un voyage scolaire par un don d’un foyer social-éducatif (FSE) ou d’une maison des lycéens (MDL), à condition que leurs statuts permettent de telles opérations de financement (en revanche, comme le relevait la note précitée, si un tel don intervenait en méconnaissance de l’objet des statuts de l’association, ce don pourrait être regardé comme conduisant à faire reposer de manière indirecte une dépense d’encadrement sur les familles contre leur volonté).

En effet, en l’absence d’obligation pesant sur les familles d’adhérer à ces associations, et en l’absence d’obligation imposée à ces dernières de financer la part accompagnateurs, ces associations peuvent effectuer librement un don pour financer la part accompagnateurs d’un voyage scolaire facultatif sans méconnaître le principe de gratuité de l’enseignement public. Ce don ne résulterait que d’un engagement libre de l’association, à laquelle les membres sont par ailleurs libres d’adhérer ou non (il n’est d’ailleurs pas exclu que ces associations puissent prévoir une adhésion sans cotisation).

Aucune autre règle, notamment en matière de financement des dépenses d’encadrement, ne paraît par ailleurs faire obstacle à ce qu’une telle source de financement soit mobilisée pour assurer la prise en charge de la part accompagnateurs d’un voyage scolaire revêtant un caractère facultatif.

2. Pour autant, ainsi qu’il vient d’être dit, ce don doit être compatible avec les statuts de l’association (2.1.), sans qu’il en découle toutefois une obligation de contrôle en la matière pour l’EPLE et les services académiques (2.2.).

2.1. Selon la circulaire du 13 juin 2023 relative à l'organisation des sorties et voyages scolaires dans les écoles, les collèges et les lycées publics, les sorties scolaires "offrent aux élèves des moments partagés (…) propices à la découverte d’un nouvel environnement naturel ou culturel" et ne peuvent pas se dérouler sans la présence d’accompagnateurs. Le financement de la part accompagnateurs n’est donc pas sans lien avec les missions des FSE et MDL prévues par les circulaires qui leur sont propres, respectivement, n° 96-249 du 25 octobre 1996 et n° 2010-009 du 29 janvier 2010, – les FSE ayant pour mission d'"offrir aux élèves des activités enrichissantes, relevant de champs d'intérêt divers" et les MDL, d’"aide(r) au développement de la vie culturelle au lycée" –, même si sa conformité aux statuts d’une association s’apprécie au cas par cas, en fonction de ceux-ci.

Par ailleurs, si les associations de parents d’élèves poursuivent, au regard de l’article D. 111-6 du code de l’éducation, "la défense des intérêts moraux et matériels communs aux parents d'élèves" (la présence d’accompagnateurs, essentielle au déroulement de ces voyages, relevant de l’intérêt des parents d’élèves), ce qui n’exclut pas, en soi, la possibilité de financer la part accompagnateurs, l’objet social des associations sportives (AS, cf. également circulaire n° 96-249 précitée) en est, quant à lui, plus éloigné, en dehors du cas, plus exceptionnel, où la pratique sportive trouve une place particulière dans ces activités. Enfin, concernant les fédérations d’associations de parents d’élèves, leur champ géographique étant particulièrement large, le lien entre le financement de la part accompagnateurs d’un voyage scolaire et leur objet social peut sembler plus difficile à caractériser.

2.2. Aux termes du 6° de l’article R. 421-20 du code de l’éducation : "[Le conseil d’administration de l’EPLE] donne son accord sur : / (…) f) la programmation et les modalités de financement des voyages scolaires", et, au titre du 9° de ce texte : "Il autorise l’acceptation des dons et legs (…)".

Aucun contrôle par le conseil d’administration d’un EPLE du bon fonctionnement comptable de l’association donataire ou de la compatibilité du don avec les statuts de cette dernière n’est exigé par les dispositions précitées.

De plus, le contrôle de légalité prévu en vertu de l’article R. 421-54 du code de l'éducation pour les délibérations du CA relatives au financement des voyages scolaires consiste, compte tenu du renvoi aux dispositions régissant le contrôle de légalité exercé par le préfet sur les actes des collectivités territoriales, en une vérification du respect par ces délibérations des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, laquelle ne porte donc pas sur la régularité de la tenue des comptes de l’association ni sur le respect, par celle-ci, de ses statuts – questions qui relèvent uniquement de la responsabilité propre des organes dirigeants de l’association.

Néanmoins, puisque les dispositions précitées du 9° de l’article R. 421-20 attribuent au CA de l’EPLE la compétence pour "autoriser l’acceptation des dons", il lui est loisible de ne pas les autoriser, par exemple dans l’hypothèse où il serait porté à sa connaissance qu’un tel don contreviendrait aux statuts de l’association donataire.

À ce titre, il peut être rappelé que le CA a, en vertu de l’article R. 511-9 du code de l’éducation, nécessairement connaissance des statuts d’une association fonctionnant au sein du lycée, et que, dans certains cas, un compte-rendu financier ou rapport moral et financier doit être adressé à l’EPLE lorsque ce dernier attribue à de telles associations une subvention, mais aussi que certains personnels de l’établissement peuvent être amenés à occuper des fonctions au sein de ces associations, le chef d’établissement étant par exemple président de droit de l’AS.

Enseignement supérieur et recherche

Associations étudiantes – Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes (FSDIE)

  • Gestion d’une épicerie solidaire – Principe de spécialité des EPSCP – Commande publique et subventions – Appel à projets

Note DAJ B1 n° 2024-012735 du 12 décembre2024

Une université a saisi la direction des affaires juridiques de plusieurs questions relatives au mode de gestion d’une épicerie solidaire à destination des étudiants sur son campus. L’établissement s’interrogeait notamment sur la possibilité d’assurer directement la gestion de cette épicerie ou, au contraire, de confier cette mission à une association étudiante dans le cadre d’une convention de partenariat ou d’un contrat de la commande publique.

I. S’il n’est pas exclu que la gestion directe d’une épicerie solidaire par une université puisse être regardée comme le complément normal de ses missions statutaires et puisse ainsi être légalement envisagée, un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) est plus certainement compétent pour mettre à disposition des locaux ou subventionner une association à cette fin.

I.1. Aux termes de l’article L. 711-1 du code de l’éducation : "Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont des établissements nationaux d'enseignement supérieur et de recherche jouissant de la personnalité morale et de l'autonomie pédagogique et scientifique, administrative et financière. / (…) Ils sont pluridisciplinaires et rassemblent des enseignants-chercheurs, des enseignants et des chercheurs de différentes spécialités, afin d'assurer le progrès de la connaissance et une formation scientifique, culturelle et professionnelle préparant notamment à l'exercice d'une profession. / Ils sont autonomes. Exerçant les missions qui leur sont conférées par la loi, ils définissent leur politique de formation, d'aide à l'insertion professionnelle, de recherche et de documentation dans le cadre de la réglementation nationale et dans le respect de leurs engagements contractuels. (…)."

Aux termes du 3° de l’article L. 123-2 de ce code, qui définit les missions du service public de l’enseignement supérieur dont les EPSCP sont chargés, ce service public contribue "(…) à la réduction des inégalités sociales ou culturelles (…). À cette fin, il contribue à l'amélioration des conditions de vie étudiante, (…) au renforcement du lien social et au développement des initiatives collectives ou individuelles en faveur de la solidarité et de l'animation de la vie étudiante".

Aux termes des deux premiers alinéas de l’article L. 822-1 du même code : "Le réseau des œuvres universitaires contribue à assurer aux étudiants une qualité d'accueil et de vie propice à la réussite de leur parcours de formation. Il assure une mission d'aide sociale (…). / Il contribue aussi à l'amélioration des conditions de vie (…) de l'ensemble des membres de la communauté universitaire, telle que définie à l'article L. 111-5."

Enfin, en vertu d’un principe général du droit, les établissements publics sont soumis au principe de spécialité, qui limite leur intervention au champ de compétences que leur attribuent la loi et le règlement (cf. CE, Section, 4 mars 1938, nos 55677 et 56288, recueil Lebon, p. 229). Le Conseil d’État admet toutefois que ce principe "ne s’oppose pas par lui-même à ce qu’un établissement public, surtout s’il a un caractère industriel et commercial, se livre à d’autres activités économiques à la double condition : / d’une part, que ces activités annexes soient techniquement et commercialement le complément normal de sa mission statutaire principale, en l’occurrence de la production, du transport, de la distribution et de l’importation et exportation d’électricité et de gaz, ou au moins connexes à ces activités, / d’autre part, que ces activités soient à la fois d’intérêt général et directement utiles à l’établissement public, notamment par son adaptation à l’évolution technique, aux impératifs d’une bonne gestion des intérêts confiés à l’établissement, le savoir-faire de ses personnels, la vigueur de sa recherche et la valorisation de ses compétences, tous moyens mis au service de son objet principal" (CE, avis, 7 juillet 1994, EDF-GDF, n° 356089).

À ce titre, et spécifiquement pour les universités, le Conseil d’État a jugé qu’une université pouvait mettre un local à disposition de masseurs-kinésithérapeutes rémunérés directement par les étudiants, sans méconnaître ni sa mission de service public ni le principe de spécialité (cf. CE, 12 décembre 1994, n° 98455, aux tables du recueil Lebon). Ainsi, la mise en œuvre d’une activité destinée à apporter des soins aux étudiants, y compris contre rémunération, constituait le complément normal des missions de l’université et répondait à un besoin d’intérêt général.

Le Conseil d’État a également jugé qu’une université pouvait décider d’installer une librairie sur son domaine public sans méconnaître le principe de spécialité, retenant que l’objectif de cette installation était d’"améliorer la qualité des services proposés aux enseignants et aux étudiants, en mettant à leur disposition des ouvrages nécessaires à leurs activités d'enseignement et de recherche". Il a considéré "qu'en décidant la conclusion d'une convention d'occupation du domaine public universitaire avec une personne privée permettant à celle-ci d'exercer une activité commerciale destinée à satisfaire les besoins directs des usagers du service public de l'enseignement supérieur dont elle p[ouvait] constituer un complément, le conseil d'administration de l'université n'a[vait] fait qu'user des pouvoirs dont il dispose en vue d'un objet conforme à la mission dévolue audit service public" (cf. CE, 10 mai 1996, SAR La Roustane et université de Provence, nos 142064 et 142066, au recueil Lebon).

I.2. Au regard de ces dispositions et dans le cadre de cette jurisprudence, il paraît peu douteux qu’une université puisse, sans méconnaître sa mission ni le principe de spécialité, mettre des locaux à disposition d’une association en vue de l’ouverture d’une épicerie solidaire à destination des étudiants.

De la même manière, l’établissement peut recourir au procédé de la subvention pour accompagner le développement d’un tel projet, au titre notamment de l’amélioration des conditions de vie étudiante.

Il pourrait enfin être admis que la prise en charge directe d’une telle mission par l’établissement soit regardée comme le complément normal de sa mission de contribuer à l’amélioration des conditions de vie étudiante et comme présentant à la fois un caractère d’intérêt général et un caractère d’utilité pour l’établissement.

Toutefois, une telle prise en charge directe présente, au regard du respect du principe de spécialité, un risque juridique supérieur à celui qu’impliquerait la mise à disposition de locaux ou le simple subventionnement de l’activité. En outre, la gestion d’une épicerie solidaire paraît davantage relever de la compétence des centres régionaux des œuvres universitaires (cf. 1° et 3° de l'article R. 822-1 du code de l’éducation).

Pour ces raisons, mais aussi du fait des lourdeurs, voire des difficultés qui pourraient naître d’une gestion en régie, il semble préférable qu’un EPSCP favorise le développement d’une initiative d’associations étudiantes en faveur de la solidarité étudiante, notamment au travers de la possibilité consentie à ces associations d’une occupation du domaine universitaire ou de l’octroi d’une subvention, plutôt que prendre en charge directement une activité d’épicerie solidaire.

II. L’appui à la gestion de cette épicerie solidaire par des associations étudiantes peut vraisemblablement s’inscrire dans le cadre d’une convention de subventionnement.

II.1. Les critères de l’octroi d’une subvention semblent remplis et tant le contenu de la convention que le suivi de l’utilisation des fonds doivent permettre d’apporter un encadrement suffisant.

II.1.1. Aux termes de l’article L. 1111-1 du code de la commande publique : "Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent." Pour qualifier un contrat de marché public, il est nécessaire d’identifier un besoin propre de la personne publique qu’elle satisferait en contrepartie d’un prix.

Aux termes de l’article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : "Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l'acte d'attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d'un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. / Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent."

Deux critères permettent de distinguer la subvention du marché public : l’initiative du projet et l’absence de contrepartie directe.

Si une association est à l'origine du projet, et si aucune contrepartie directe n'est attendue par l'administration, le contrat est alors un contrat de subvention qui n'est pas soumis aux obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par le code de la commande publique (cf. CAA Marseille, 20 juillet 1999, Commune de Toulon, n° 98MA01735). Le Conseil d’État a notamment jugé que "lorsqu'une personne privée exerce, sous sa responsabilité et sans qu'une personne publique en détermine le contenu, une activité dont elle a pris l'initiative, elle ne peut, en tout état de cause, être regardée comme bénéficiant de la part d'une personne publique de la dévolution d'une mission de service public" (CE, Section, 6 avril 2007, Commune d'Aix-en-Provence, n° 284736, au recueil Lebon).

II.1.2. Si le projet d’épicerie solidaire se trouve initié par des associations étudiantes, elles ne peuvent alors être considérées comme des prestataires agissant à la demande de l’université pour répondre à des besoins que cette dernière aurait préalablement définis.

Pour autant, il n’est pas interdit à la personne publique de fixer des conditions à l’utilisation des fonds par le bénéficiaire d’une subvention. En effet, dans la mesure où la subvention poursuit, comme en l’espèce, un motif d’intérêt général, la personne publique peut subordonner son octroi à une utilisation déterminée des fonds publics. Il faut toutefois éviter que cette intervention confine à l’immixtion et qu’elle puisse apparaître comme l’attente d’une contrepartie directe, le versement de la subvention pouvant être, en cas de contentieux, requalifié en versement d’un prix, donc d’un marché.

La subvention ne doit donc pas rémunérer des prestations de services individualisées (cf. CE, Section, 6 juillet 1990, Comité pour le développement industriel et agricole du Choletais, n° 88224, au recueil Lebon) à destination de l’établissement, au risque de constituer un indice qu’il serait répondu à un besoin de l’université, mais avoir pour seul objectif de soutenir les associations dans la réalisation de ce projet. La gestion de l’épicerie doit ainsi être assurée de façon autonome par ces associations (JRTA Melun, 17 août 2006, Préfet de Seine-et-Marne, n° 06-5187/2).

La conclusion d’une convention de subventionnement avec les associations chargées de la gestion de l’épicerie, rédigée dans cet objectif et identifiant des conditions claires à son octroi, conditions dont le non-respect pourrait conduire au retrait de la subvention, doit donc pouvoir intervenir, sans s’exposer à un risque excessif de requalification en contrat de la commande publique.

Si l’activité de l’épicerie supposait des relations de nature commerciale avec des fournisseurs, il faut rappeler que l’université n’aura aucune responsabilité ni pouvoir de contrôle direct sur ces relations. En revanche, le contenu de la convention peut mentionner la nature des documents, notamment comptables, dont la transmission à l’université serait rendue obligatoire, cette dernière disposant d’un pouvoir de contrôle sur la manière dont les fonds publics qu’elle attribue sont utilisés, afin d’évaluer leur bonne utilisation. Il peut être conseillé de n’attribuer qu’une subvention annuelle dont le renouvellement serait conditionné à l’évaluation en question.

II.2. Au-delà du contenu de la convention de subventionnement vu en II.1., la conclusion de cette convention obéit à une série de règles et de modalités procédurales.

II.2.1. D’une part, le premier alinéa de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose que : "Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions."

L’article fixe donc quatre critères cumulatifs à la définition d’une aide d'État : une aide publique, octroyée directement par l’État ou indirectement par des organismes liés à l’État, un avantage sélectif, c’est-à-dire favorisant certaines entreprises ou productions, affectant la concurrence (interne à l’État membre ou intra-Union européenne) et affectant les échanges au sein de l’Union. Ces aides doivent être notifiées à la Commission européenne en application de l’article 108 du TFUE.

Toutefois, le règlement (UE) 2023/2831 de la Commission du 13 décembre 2023 prévoit que certains montants d’aide limités ne relèvent pas du contrôle des aides d’État par l’Union européenne, parce qu’ils sont considérés comme n’ayant aucune incidence sur la concurrence et les échanges au sein du marché intérieur. Le seuil de ces aides dites "de minimis" a été fixé à 300 000 euros sur une période de trois années glissantes.

Ainsi, même si cette subvention en numéraires et en nature (valorisation de l’occupation domaniale) devait être considérée comme une aide d’État, le seuil de déclenchement de l’obligation de notification à la Commission européenne serait de 300 000 euros sur une période triennale.

II.2.2. D’autre part, le premier alinéa de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) dispose que "(…) lorsque le titre (…) permet à son titulaire d'occuper ou d'utiliser le domaine public en vue d'une exploitation économique, l'autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester".

En l’espèce, la vente de denrées alimentaires, bien qu’elle soit assurée par une association dépourvue de but lucratif et marquée par la modicité des prix pratiqués, réalise une intervention sur un marché. Or, est considérée comme une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné, autrement dit toute intervention sur un marché concurrentiel (cf. CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze, n° 306911, aux tables du recueil Lebon ; pour un exemple d’activité économique menée par un organisme sans but lucratif, CJUE, 1er juillet 2008, n° C-49/07, point 22).

L’octroi d’une autorisation d’occupation privative du domaine public en vue d’une exploitation économique doit ainsi être précédée d’une procédure de sélection transparente et impartiale, faisant l’objet de mesures de publicité dont la mise en œuvre est laissée à l’appréciation de l’autorité publique. Cette procédure doit être considérée comme un outil de sélection de l’association étudiante la plus à même de satisfaire à cette initiative solidaire, sans véritable risque d’attirer des opérateurs économiques, eu égard à ses conditions économiques.

Notons enfin que l'université est aussi fondée, au titre des pouvoirs de gestion et de contrôle qu'elle exerce sur le domaine public dont elle est affectataire, à se voir reconnaître, dans le cahier des charges de la convention d’occupation domaniale à conclure, certaines prérogatives lui permettant, le cas échéant, de tirer les conséquences d'une gestion de l’épicerie incompatible avec les finalités de sa mission (cf. CE, 10 mai 1996, nos 142064 et 142066, susmentionnée).

II.2.3. En dernier lieu, afin de satisfaire tant à l’obligation de sélection préalable prévue par le CGPPP qu’à la volonté de l’université de déterminer les principes et règles à respecter par le bénéficiaire de la subvention, l’université peut choisir d’organiser un appel à projets.

Comme l’a rappelé en mars 2023 le ministre chargé de l’économie dans une réponse à une question parlementaire : "L'appel à projets (…) consiste pour une personne publique, en vue de la réalisation d'un objectif d'intérêt général, à susciter des initiatives de tiers intéressés, à sélectionner la proposition de ces tiers qu'elle considère comme la plus satisfaisante et à lui apporter un soutien qui peut consister en une subvention, la cession d'un bien à titre onéreux, l'attribution d'un droit d'occupation domaniale ou d'une autorisation d'urbanisme. Bien que faisant également appel à une procédure de mise en concurrence, l'appel à projets se distingue des contrats de la commande publique en ce qu'il n'a pas pour objet de répondre aux besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services d'une personne publique ou de confier à un tiers l'exécution d'une mission de service public, mais de sélectionner parmi des projets dont l'initiative et le contenu relèvent de leurs seuls auteurs celui qui sera le plus approprié à l'objectif d'intérêt général recherché" (réponse du 2 mars 2023 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, à la question de M. Jean Louis Masson publiée au Journal officiel du Sénat du 28 juillet 2022).

L’appel à projets n’est pas encadré par des règles spécifiques. La personne publique qui l’organise est seulement tenue de respecter les règles qu'elle a elle-même définies dans le cahier des charges de la consultation, ainsi que le principe d'égalité entre tous les candidats (cf. CE, 16 avril 2019, Société Sinfimmo, n° 420876, point 5). Le choix du lauréat de l’appel à projets devra également procéder de critères objectifs et transparents.

Précisons que quand bien même, conformément à l'article 1er du décret du 6 juin 2001 pris pour l'application de l'article 10 de la loi du 12 avril 2000 et relatif à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques, l'obligation de conclure une convention s'applique seulement aux subventions dont le montant annuel est supérieur à 23 000 euros, il y aura tout lieu de formaliser par une convention les relations entre l’université et la ou les associations, afin de rendre opposables les conditions fixées dans le cahier des charges de l’appel à projets.

Ce cahier des charges pourrait ainsi utilement préciser l’ensemble des règles (traitement des données personnelles, règles d’hygiène, maniement des fonds, conditions d’utilisation de la subvention, souscription du contrat d’engagement républicain) incombant au gestionnaire de l’épicerie solidaire.

Le principal écueil réside dans ce que la supervision de la gestion de l’épicerie doit impérativement demeurer limitée. L’établissement ne doit, en particulier, pas s’immiscer dans la gestion matérielle ou financière du projet, par exemple en fixant les prix proposés ou en décidant des produits vendus (cf. à nouveau : CE, nos 142064 et 142066, susmentionnée).

Personnels

Protection fonctionnelle

  • Demande de protection fonctionnelle par une organisation syndicale au nom et pour le compte d’agents publics – Propos diffamatoires – Personnes déterminées

Note DAJ A2 n° 2024-008355 du 29 novembre 2024

La direction des affaires juridiques a été interrogée, d’une part, sur la possibilité pour une organisation syndicale de demander l’octroi de la protection fonctionnelle au nom et pour le compte d’agents publics et, d’autre part, sur la qualification juridique de propos diffamatoires.

Cette saisine faisait suite à une demande d’une organisation syndicale d’octroyer la protection fonctionnelle à l’ensemble des professeurs des écoles relevant d'une académie à la suite de propos tenus par un ancien président de la République lors d'une conférence publique, au cours de laquelle il avait notamment déclaré que "le statut du professeur des écoles, c’est vingt-quatre heures par semaine, six mois dans l’année".

1. L’article L. 134-1 du code général de la fonction publique (CGFP) dispose que : "L’agent public ou, le cas échéant, l’ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire (…)."

Aux termes de l’article L. 134-5 du CGFP : "La collectivité publique est tenue de protéger l'agent public contre les atteintes volontaires à l'intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. / Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté."

Le rapporteur public, dans ses conclusions (accessibles sur ArianeWeb) sur la décision du Conseil d’État n° 476196 du 7 juin 2024 (Ministre de l'intérieur et des outre-mer, aux tables du recueil Lebon), précisait que, "selon les critères qui se dégagent de [la] jurisprudence, pour ouvrir droit à la protection fonctionnelle, une menace doit revêtir un caractère réel, doit être dirigée contre la personne de l’agent public (CE, 16 décembre 1977, (…), n° 04344, [au recueil Lebon]) et doit présenter un lien avec les fonctions de l’agent (CE, Assemblée, 30 mars 1962, (…), [nos 32084 et 32688, au recueil Lebon, p. 238])."

2. Par ailleurs, en l’absence de dispositions précises sur ce que recouvrent les notions de diffamation et d’injure lorsqu’un agent public en est victime, le juge administratif se reporte à la définition de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui dispose que : "Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. / Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure."

La jurisprudence de la Cour de cassation considère de façon constante que la diffamation doit viser une personne déterminée (cf. Cass. crim., 26 mai 1987, n° 85-92.065, au Bulletin ; ce qui est le cas d’une personne visible sur une image : Cass. crim., 29 octobre 1991, n° 90-87.435, au Bulletin ; ce qui n’est pas le cas, en revanche, pour des faits qui atteignent une profession dans son ensemble : Cass. crim., 16 septembre 2003, n° 02-85.113, au Bulletin).

À cet égard, le Conseil d’État a déjà jugé que des critiques émises par une organisation syndicale visant les fonctionnaires issus d’une école nationale (en l’espèce, les instituts régionaux d’administration) sans que le requérant, lui-même issu de ce recrutement, ne soit personnellement désigné ne constituaient pas des attaques ou de la diffamation au sens des dispositions relatives à la protection fonctionnelle alors en vigueur (cf. CE, 26 juillet 1978, nos 01987 et 02995, aux tables du recueil Lebon).

3. Dès lors, d’une part, il ne ressort d’aucune disposition législative ou réglementaire ni même de la jurisprudence qu’un syndicat serait compétent pour demander la protection fonctionnelle au nom et pour le compte d’un agent public ou d’un groupe d’agents publics.

D’autre part, les propos tenus par le conférencier n’étaient pas susceptibles de revêtir la qualification de "propos diffamatoires" dès lors que ces propos ne visaient pas des professeurs des écoles en particulier (personnes déterminées ou identifiées) mais l’ensemble de la profession.

Incapacité (condamnation pénale…)

  • Incapacité professionnelle entraînant la radiation des cadres – Article L. 911-5 du code de l'éducation – Condamnation pour crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs – Non-inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire de l’agent – Interdiction d'exercer délivrée dans le cadre d'un sursis probatoire

Note DAJ A2 n° 2024-012113 du 27 novembre 2024

La direction des affaires juridiques a été saisie au sujet de la situation d’un enseignant reconnu coupable d’avoir commis, dans l'exercice de ses fonctions, des violences volontaires sur mineurs de quinze ans. Dans le cadre de la procédure judiciaire, il avait été condamné à une peine de six mois d’emprisonnement assortie d’un sursis probatoire de deux ans. Le juge pénal avait explicitement exclu la mention de cette condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire de l’agent. Le juge d’application des peines avait, en revanche, prononcé à son encontre, dans le cadre du sursis probatoire de deux ans, une interdiction d’exercer une activité professionnelle impliquant un lien habituel avec des mineurs.

L’article L. 911-5 du code de l’éducation institue un régime d’incapacité interdisant notamment aux personnes condamnées pénalement pour des faits contraires à la probité et aux mœurs de diriger un établissement d’enseignement ou de formation accueillant un public d’âge scolaire ou d’y être employées, à quelque titre que ce soit.

Ces dispositions permettent ainsi de s’assurer que l’ensemble des personnels disposent des garanties de moralité indispensables à l’exercice de leurs fonctions et visent à garantir la sécurité des élèves.

Ce cas d’espèce a permis de préciser les contours de l’applicabilité de l’article L. 911-5.

D'une part, il est de jurisprudence constante que l'exclusion de la mention de la condamnation de l'agent au bulletin n° 2 de son casier judiciaire, sur le fondement de l'article 775-1 du code de procédure pénale, fait obstacle à la mise en œuvre de l'article L. 911-5 du code de l'éducation – il est, à cet égard, indifférent que l'exclusion de la mention au bulletin n° 2 résulte du jugement initial de condamnation ou que cette exclusion soit prononcée postérieurement (cf. CE, 10 décembre 1986, Ministre de l'éducation nationale, n° 50059, au recueil Lebon ; CAA Paris, 1er octobre 2019, n° 18PA03186). Dans le cas de l’espèce, cette exclusion avait emporté relèvement de l’incapacité prévue au 1° du I de l’article L. 911-5 du code de l’éducation, qui était donc inapplicable à la situation de l’intéressé.

D'autre part, le 3° du I de l’article L. 911-5 du code de l’éducation prévoit la radiation des cadres des personnels "qui ont été frappés d'interdiction d'exercer, à titre définitif, une fonction d'enseignement ou une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs".

Toutefois, ces dispositions n’ont pas vocation à s’appliquer à une interdiction d’exercer les fonctions d’enseignant prononcée dans le cadre d’un sursis probatoire, qui ne constitue pas une peine complémentaire et qui n'est pas prononcée à titre définitif.

Par conséquent, il en a été déduit qu’il n’était, en l'espèce, pas envisageable de radier des cadres l’intéressé sur le fondement de l’article L. 911-5.

Personnels d'inspection

  • Professeur "faisant fonction" d'inspecteur – Personnels d'inspection – Corps des IEN et IA-IPR – Distinction du grade et de l’emploi – Missions temporaires

Note DAJ A2 n° 2024-012957 du 19 décembre 2024

La direction des affaires juridiques a été interrogée sur la participation d’un professeur certifié "faisant fonction" d’inspecteur de l’éducation nationale à l’inspection d’un établissement d’enseignement privé hors contrat.

1. Les inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) et les inspecteurs de l’éducation nationale (IEN) constituent deux corps de fonctionnaires distincts, dont les statuts sont régis par le décret n° 90-675 du 18 juillet 1990.

Aux termes de l’article 2 de ce décret et des articles R. 241-18 et suivants du code de l’éducation, ces personnels sont notamment chargés de l’inspection des personnels enseignants, d’éducation et d’orientation, du contrôle de l’application des programmes et des réformes pédagogiques, de l’évaluation des pratiques professionnelles des enseignants et de l’accompagnement pédagogique des établissements scolaires. Ils interviennent également dans le cadre de l’évaluation de la qualité de l’enseignement, en lien avec les personnels enseignants, mais aussi de la formation continue de ces personnels.

L'article L. 241-4 du code de l’éducation prévoit également que : "I. L'inspection des établissements d'enseignement du premier et du second degré publics ou privés est exercée : / 1° par les inspecteurs généraux de l'éducation, du sport et de la recherche ; / 2° par les recteurs d'académie et les directeurs académiques des services de l'éducation nationale agissant sur délégation de ces derniers ; / 3° par les inspecteurs de l'éducation nationale ; / 4° par les membres du conseil départemental de l'éducation nationale désignés à cet effet. / Toutefois, les établissements d'enseignement privés ne peuvent être inspectés par les personnels enseignants de l'enseignement public qui font partie du conseil départemental ; / 5° par le maire et les délégués départementaux de l'éducation nationale. (...)."

Il est à noter que si l’ensemble des personnels mentionnés n’est pas compétent pour inspecter les établissements d’enseignement privés, ces dispositions ne distinguent pas les établissements privés sous contrat de ceux hors contrat. L’ensemble des personnels listés par cet article, habilités à mener des inspections au sein des établissements d’enseignement privés, le sont pour ces deux types d’établissement.

Ces dispositions, et en particulier le 3°, paraissent donc permettre aux personnels exerçant effectivement les missions susmentionnées de mener des inspections au sein des établissements concernés, sans en conditionner l’exercice à une appartenance stricte aux corps des IEN et IA-IPR. En ce sens, les autres dispositions de cet article prévoient que cette mission d’inspection peut également être exercée par des personnels occupant des fonctions particulières (maire, délégué départemental) et n’appartenant pas à un corps de fonctionnaire particulier.

2. Par ailleurs, la possibilité d’occuper des fonctions qui ne correspondent pas à celles prévues par le statut du corps auquel appartient l’agent est ouverte par les dispositions de l’article L. 411-5 du code général de la fonction publique, qui fixe le principe de distinction du grade et de l’emploi.

Ainsi, l’emploi, au sens de ces dispositions, ne revêt qu’une signification fonctionnelle et vise les seules missions et tâches qu'un fonctionnaire doit accomplir dans le cadre du service.

Si les fonctionnaires titulaires d'un grade ont vocation à occuper certains emplois, le juge ne considère pas, en revanche, qu'à chaque grade doivent correspondre un ensemble d’emplois exclusifs (cf. CE, 2 mars 1988, Fédération nationale des syndicats autonomes de l'enseignement supérieur et de la recherche et Association nationale des professeurs d'université des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion, nos 61165 et 61472, au recueil Lebon).

La notion de personnels "faisant fonction de" n’est pas définie juridiquement, mais elle renvoie classiquement à une catégorie de personnels qui exercent, temporairement, des missions qui ne sont pas prévues par le statut de leur corps, en ce qu’elles sont habituellement réservées à un autre corps, en général supérieur s’agissant du ministère de l’éducation nationale (personnels de direction ou IA-IPR).

Compte tenu de la distinction entre le grade et l’emploi, les personnels "faisant fonction de" bénéficient, à ce titre, des mêmes conditions d’exercice que les personnels appartenant au corps dont ils exercent les fonctions (cf. CE, 17 mars 2008, n° 306461, aux tables du recueil Lebon), mais ils restent toutefois rattachés à leur corps d’origine.

La cour administrative d’appel de Bordeaux, visant ces dispositions, a ainsi jugé "que M. X, qui n'a assuré les fonctions de premier surveillant qu'à titre temporaire, pouvait être désigné pour les exercer, alors même qu'il ne remplissait pas les conditions exigées par le décret n° 93-1113 du 21 septembre 1993 alors en vigueur pour être promu au grade de premier surveillant" (CAA Bordeaux, 4 juillet 2006, Syndicat autonome de la maison d'arrêt de Bayonne, n° 03BX01532 ; également : CE, 2 juin 1993, Département du Val-de-Marne, nos 55053 et 73510, aux tables du recueil Lebon).

Or, les personnels "faisant fonction" d’inspecteurs de l’éducation nationale, s’ils n’appartiennent pas au corps des IEN ou IA-IPR dont le statut est prévu par le décret du 18 juillet 1990, exercent de manière pleine et effective les missions prévues aux articles R. 241-18 et suivants du code de l’éducation, qui sont celles des inspecteurs de l’éducation nationale. Dans ces conditions, ils doivent être regardés comme visés par les dispositions de l’article L. 241-4 du code de l’éducation (par analogie, cf. TA Poitiers, 19 décembre 2023, n° 2200805).

Par suite, et dès lors qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’y fait obstacle, il doit être considéré que l’inspection d’un établissement d’enseignement privé hors contrat peut être menée par un professeur certifié faisant fonction d’inspecteur de l’éducation nationale.

Le point sur

Le contentieux des autorisations d’instruction dans la famille : bilan de trois années de mise en œuvre du régime d’autorisation

Le régime d’autorisation de l’instruction dans la famille, qui, en vertu de l’article 49 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, a remplacé le régime de la déclaration à compter de la rentrée scolaire 2022, connaît sa troisième année de mise en œuvre.

L’administration peut donc, désormais, refuser une demande d’autorisation d’instruction dans la famille lorsque les conditions permettant son obtention ne sont pas remplies, ce qui a conduit à l’introduction, par les familles, de plusieurs centaines de recours contentieux contre ces décisions de refus.

La Lettre d’information juridique de mai 2023 proposait un premier bilan de ce contentieux alors que s’achevait la première année scolaire de mise en œuvre de ce nouveau régime (cf. "Le point sur…", LIJ n° 225). Tandis que la quatrième campagne annuelle de dépôt des demandes d’autorisation s’ouvre pour l’année scolaire 2025-2026, le présent article s’attache à dresser un nouveau bilan du contentieux en la matière.

La campagne 2024-2025 s’est illustrée par une augmentation du nombre de recours devant les tribunaux administratifs par rapport aux années précédentes, dans un contexte marqué par la fin du régime dérogatoire de plein droit (I.). Dans la continuité des premières décisions rendues au cours de l’année scolaire 2022-2023, les juridictions administratives sont venues préciser les contours des quatre motifs de droit commun pouvant donner lieu à l’octroi des autorisations d’instruction dans la famille (II.).

I. Un contentieux dont le volume a augmenté en raison de la fin du régime transitoire des autorisations d’instruction dans la famille de plein droit

I.1. Une campagne 2024-2025 marquée par la fin du régime transitoire des autorisations d’instruction dans la famille de plein droit

La troisième campagne d’autorisation d’instruction dans la famille, qui s’est ouverte au mois de mars 2024 pour l’année scolaire 2024-2025, s’est caractérisée par la fin du régime transitoire prévu par le dernier alinéa de l'article 49 précité de la loi du 24 août 2021. Instauré au bénéfice des enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l'année scolaire 2021-2022 et dont les résultats du contrôle pédagogique avaient été jugés satisfaisants, il permettait aux familles de poursuivre de plein droit, par dérogation et sous ces deux conditions, ce mode d’instruction pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024.

Il convient tout d’abord de souligner que la mise en place de ce régime d’autorisation et, en particulier, la fin du régime transitoire de plein droit s’accompagnent d’une baisse significative du nombre total de demandes d’instruction dans la famille, de l’ordre de 25 % par rapport à la campagne précédente, après une première baisse de 10 % lors de la campagne 2023-2024. Cette évolution correspond à l’objectif fixé par la loi du 24 août 2021, faisant de la scolarisation dans un établissement d’enseignement scolaire le principe, et de l’instruction dans la famille, la dérogation.

Parallèlement, alors que les autorisations d’instruction dans la famille accordées au titre du régime dérogatoire représentaient, respectivement, 80 % et 66 % des autorisations délivrées par les autorités académiques pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, une hausse particulièrement importante du nombre de demandes d’autorisation fondées sur les motifs de droit commun, tels qu’énumérés aux 1° à 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, a été constatée lors de la campagne 2024-2025.

En effet, si les demandes d'autorisation fondées sur ces motifs de droit commun – à l’exclusion du régime de plein droit – étaient au nombre de 16 814 sur un total de 60 638 en 2022, et de 21 877 sur un total de 54 459 en 2023, les services académiques ont reçu pas moins de 40 846 demandes d’autorisation en 2024, sur le seul fondement de ces quatre motifs. Cette augmentation du nombre de demandes sollicitées pour l'un des quatre motifs de droit commun a concerné chacun d'entre eux, avec une hausse particulièrement significative s’agissant des trois derniers, de l’ordre de 90 % à 139 % par rapport à la précédente campagne.

Par ailleurs, il peut être souligné que le taux d’acceptation des demandes fondées sur ces motifs de droit commun a légèrement augmenté, passant de 73 % en 2022 à 74 % en 2023, puis à 77 % en 2024.

Cependant, dès lors que la quasi-totalité des demandes d’instruction dans la famille sollicitées dans le cadre du régime dérogatoire de plein droit ont donné lieu à la délivrance d’une autorisation, le report de ces demandes vers ces quatre motifs de droit commun a eu, mécaniquement, pour effet d’augmenter en volume le nombre de décisions d’autorisation comme de refus d’autorisation de l’administration.

I.2. Un contentieux caractérisé par une augmentation du nombre de recours, dont la répartition demeure inégale selon les académies

L’augmentation en volume du nombre de refus d’autorisations d’instruction dans la famille pour l’année scolaire 2024 2025 s’est corrélativement accompagnée d’une augmentation du nombre de recours contentieux formés par les familles. Au 31 décembre 2024, on dénombrait ainsi près de 480 ordonnances de référé-suspension rendues par les tribunaux administratifs au titre de la campagne 2024-2025, alors que la direction des affaires juridiques n'a eu connaissance que de 280 ordonnances rendues par les juges des référés au titre de la campagne 2022-2023. Il peut cependant être noté que le taux de recours contentieux déposés par les familles reste modéré et relativement stable par rapport aux années précédentes, puisque seulement 5,1 % des décisions de refus ont donné lieu à une saisine du juge en urgence au titre de la campagne 2024-2025, contre 4,6 % au titre de la campagne 2022-2023.

Ces décisions rendues à l'occasion de la campagne 2024-2025 appellent des observations du même ordre que celles formulées lors de la campagne 2022-2023.

Tout d’abord, à l’instar des campagnes précédentes, des disparités significatives dans la répartition géographique des recours ont été observées, les trois académies de Strasbourg, Rennes et Poitiers ayant concentré, pour cette campagne, plus d’un quart des recours ayant donné lieu à une ordonnance de référé.

Ensuite, les recours ont une nouvelle fois concerné en grande majorité le motif portant sur la "situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif" (4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation), qui a fait l’objet de 375 ordonnances de référé, soit près de 80 % des ordonnances rendues en la matière. À titre de comparaison, le même motif représentait 72 % des ordonnances rendues au titre de la campagne 2022-2023.

Parmi les autres motifs d’autorisation, celui tiré de l’impossibilité pour l’enfant de fréquenter assidûment un établissement d'enseignement compte tenu de la "pratique d’activités sportives ou artistiques intensives" (2° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation) a donné lieu à un nombre de contentieux en hausse lors de la campagne 2024 2025, avec un total de 20 ordonnances contre seulement 4 lors de la campagne 2022-2023.

Enfin, l’issue des décisions rendues par les juridictions administratives demeure très majoritairement favorable à l'administration puisque seulement 10 % des ordonnances de référé ont décidé la suspension de l'exécution du refus d’autorisation. S’agissant des recours – au fond – en annulation formés par les requérants à la date du 31 décembre 2024, sur les 90 jugements rendus au titre de la campagne 2024 2025, seuls 13 jugements sont défavorables à l’administration.

II. Les décisions des tribunaux administratifs ont permis, dans la continuité des premiers contours dessinés dès 2022, de définir plus précisément l’appréciation qu’il convient de porter sur les différents motifs de délivrance d’une autorisation d’instruction dans la famille

Les nombreuses décisions des juges des référés et des juges du fond rendues au cours des trois dernières années ont permis d’affiner progressivement les contours des quatre motifs de droit commun au titre desquels peut être délivrée une autorisation d’instruction dans la famille, tels qu’énumérés à l’article L. 131-5 du code de l’éducation : "1° L'état de santé de l'enfant ou son handicap ; 2° La pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ; 3° L'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public ; 4° L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif".

II.1. L’appréciation des demandes d’autorisation sur le fondement de l'état de santé de l'enfant ou de son handicap

S’agissant de ce motif, le tribunal administratif de Bordeaux a tout d’abord rappelé qu’en l’absence du certificat médical sous pli fermé exigé par l’article R. 131-11-2 du code de l’éducation, une "carte d’urgence" et des "prescriptions médicales" ne suffisent pas à établir l’affection de longue durée dont souffre un enfant (TA Bordeaux, 21 novembre 2024, n° 2300248).

En outre, dans le cadre de la mise en balance des avantages et des inconvénients de chaque forme d’instruction qui procède de la jurisprudence du Conseil d’État (cf. CE, 13 décembre 2022, nos 462274 et autres, n° 467550 et n° 466623, aux tables du recueil Lebon, LIJ n° 224, mars 2023), et qui doit être mise en œuvre également dans le cadre d’une demande présentée pour ce motif, l’intérêt supérieur de l’enfant peut conduire l’administration à refuser une demande d’autorisation d’instruction dans la famille malgré la présentation d’un certificat médical ou d’une notification de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées attestant d’une pathologie ou d’une situation de handicap.

En ce sens, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a notamment estimé que la condition d’urgence à suspendre les décisions attaquées n’était pas remplie malgré la présentation de certificats médicaux lorsque les quatre enfants d’une même fratrie "apparaissent n’avoir jamais été scolarisés assidûment en dépit des différentes mises en demeure adressées [à leurs parents]", et quand "le seul contrôle de l’instruction (…) qui a pu être mené [pour deux d’entre eux] (…), en raison de l’obstruction systématique des requérants à la tenue de ces contrôles, fait état de résultats insuffisants en raison de lacunes importantes et de l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour l’instruction" (JRTA Grenoble, 10 octobre 2024, n° 2407204, n° 2407211 et n° 2407215).

II.2. L’appréciation des demandes d’autorisation sur le fondement de la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives

Plusieurs juridictions se sont prononcées au fond sur la condition tenant au caractère intensif de la pratique sportive ou artistique de l’enfant et, partant, sur sa compatibilité avec une scolarisation assidue dans un établissement scolaire. Ce critère est notamment examiné par l’administration au regard du volume horaire hebdomadaire actuel et prévisionnel de l’activité exercée par l’enfant, en particulier au regard des horaires d’enseignement dans un établissement scolaire, et de son engagement dans cette activité, qui peut se traduire par une spécialisation ou la volonté de poursuivre cette activité dans un but professionnel.

Le tribunal administratif de Dijon a notamment jugé qu’une enfant de quatre ans qui suit des cours de solfège niveau débutant, d’éveil musical et de chant choral, qui représentent un volume horaire hebdomadaire de l'ordre de six à sept heures, ne peut être regardée comme pratiquant de manière intensive une activité artistique incompatible avec une telle scolarisation (TA Dijon, 20 décembre 2024, n° 2402690).

Le tribunal administratif de Besançon a, par ailleurs, estimé que c’est sans commettre d’erreur de droit que, pour apprécier le caractère intensif de l’activité pratiquée, l’administration s’est fondée sur "la multiplicité des activités sportives, l’absence de spécialisation et l’absence d’engagement de[s] enfant[s] en compétition". Il a relevé qu’en l’espèce, si les enfants des requérants pratiquaient de nombreux sports avec une amplitude horaire de 17 à 20 heures par semaine, cette pratique se déroulait très majoritairement dans le cadre familial puisque seuls les entraînements de cyclisme avaient lieu en club le mercredi après-midi et le samedi matin, soit en dehors du temps scolaire. Il a ensuite confirmé le bien-fondé des décisions de refus d’autorisation en jugeant que "l’essentiel de [leur] pratique sportive, qui est encadrée par la famille et, par conséquent, flexible, peut également être organisée en dehors des temps d’instruction d’un établissement d’enseignement" (TA Besançon, 15 octobre 2024, n° 2401287 et n° 2401288).

II.3. L’appréciation des demandes d’autorisation sur le fondement de l'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public

Conformément à l’article R. 131-11-4 du code de l’éducation, les demandes fondées sur l’itinérance en France doivent comprendre "toutes pièces utiles justifiant de l'impossibilité pour l'enfant de fréquenter assidûment, pour ces raisons, un établissement d'enseignement public ou privé". Il revient donc à la famille de faire état de l’existence de sa situation d’itinérance et de justifier en quoi cette situation rend impossible pour l’enfant la fréquentation assidue de tout établissement scolaire.

Si la preuve de la matérialité de l’itinérance en France peut être apportée par tout moyen, il appartient en revanche à la famille de produire des éléments suffisants de nature à l’établir. Il a ainsi été jugé que ne permettent pas d’établir l’itinérance de la famille "une simple attestation de stationnement à compter du 4 août 2024 sur une aire d’accueil permanente des gens du voyage (…), quelques tickets de caisse de denrée alimentaire ne comportant pas leur nom, ainsi qu’un reçu (…) dont la nature de la dépense ne peut être établie" (TA Dijon, 29 novembre 2024, n° 2402356).

Il en va de même lorsque la mère de l’enfant se prévaut uniquement de l’exercice, durant les week-ends, d’"une activité ambulante, qui implique seulement que cette dernière puisse vendre des produits en dehors de tout local commercial" (cf. TA Strasbourg, 21 novembre 2024, n° 2404226).

En toute hypothèse, il appartient à la famille de démontrer l’impossibilité pour l’enfant de fréquenter assidûment un établissement scolaire pour ces raisons, la situation d’itinérance qui impliquerait des changements d’établissement en cours d’année scolaire à une fréquence raisonnable, propre à garantir l’intérêt de l’enfant, étant, par là même, jugée insuffisante. À cet égard, le tribunal administratif de Dijon a estimé que si la mère de l’enfant justifie exercer une activité de commerce ambulante, "elle n’établit pas [pour autant] qu’il serait impossible, au fur et à mesure de ses déplacements, d’inscrire son fils dans un établissement scolaire, relevant du secteur du lieu de stationnement, quand bien même cela conduirait à des changements d’établissement en cours d’années" (TA Dijon, 13 décembre 2024, n° 2402513).

S’agissant par ailleurs des demandes fondées sur l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public, le juge administratif a eu l’occasion de souligner, après avoir constaté que le domicile de la famille "[ne] relev[ait pas] d’un éloignement particulier ne permettant pas la scolarisation dans un établissement public", que "la circonstance que cet établissement ne dispenserait pas une méthode particulière d’instruction [n’est] pas à prendre en compte concernant une demande d’autorisation d’instruction en famille formée sur le 3° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation" (TA Melun, 29 novembre 2024, n° 2410880).

II.4. L’appréciation des demandes d’autorisation sur le fondement de l’existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif

Ainsi que précisé plus haut, et comme pour les années précédentes, ce motif a donné lieu au plus grand nombre de recours contentieux et, partant, de décisions des juridictions administratives.

Dans un premier temps, ces décisions ont confirmé plusieurs constats dressés dans le Point sur de la LIJ de mai 2023.

Ainsi, la volonté des parents de mettre en place une méthode d’apprentissage pédagogique particulière a été regardée comme "n’[étant] (…) pas en tant que telle de nature à caractériser une situation propre à l’enfant lui-même" (cf. TA Cergy-Pontoise, 6 février 2024, n° 2213421).

Ne constituent pas davantage une situation propre à l’enfant motivant, dans son intérêt, un projet d’instruction dans la famille : des difficultés de concentration et un besoin d’activités extérieures (cf. TA Grenoble, 27 novembre 2023, n° 2207112), des besoins en termes de rythme d’apprentissage et de sommeil (CAA Toulouse, 25 juin 2024, n° 23TL01703 ; TA Besançon, 12 novembre 2024, n° 2401431) ou encore des besoins en termes d’accompagnement individuel, d’environnement calme et sécurisant (TA Besançon, 12 novembre 2024, n° 2401704 ; TA Montreuil, 2 février 2023, n° 2212375), le juge administratif relevant dans ces différents cas qu’un établissement scolaire est en mesure de prendre en compte toutes ces considérations générales et fréquentes chez des jeunes enfants.

Il en va de même s’agissant du fait que d’autres enfants de la même famille aient reçu et reçoivent l’instruction dans la famille, les juges de première instance écartant très généralement ce motif. La cour administrative d’appel de Toulouse a ainsi estimé qu’"alors même que d’autres membres de [la] fratrie, composée de dix enfants au total, font l’objet d’une instruction en famille (…), c’est à bon droit et sans méconnaître les dispositions [de l'article L. 131-5 du code de l'éducation] ni entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation que la commission académique a rejeté la demande [d’autorisation]" (CAA Toulouse, 25 juin 2024, n° 23TL01787). Si certains tribunaux administratifs ont rendu des jugements en sens contraire, le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a formé des recours en appel, qui sont à ce jour en attente d’être jugés.

Dans un deuxième temps, les jugements rendus ont permis de délimiter les circonstances pouvant être regardées par le juge administratif comme ne constituant pas une situation propre à l’enfant motivant un projet éducatif d’instruction dans la famille, par dérogation au principe de l’instruction dans un établissement d’enseignement scolaire.

Il s’agit notamment du fait que l’enfant ait été déjà instruit en famille, y compris dans l’éventualité où il a obtenu des résultats suffisants lors des contrôles pédagogiques organisés en application de l’article L. 131 10 du code de l’éducation. Le tribunal administratif de Dijon a ainsi jugé que "les autorisations d'instruction en famille sont délivrées annuellement, sans droit acquis au renouvellement, et la circonstance qu'une autorisation ait précédemment été octroyée ne permet pas, en soi, d'établir que l'instruction en famille est la forme la plus conforme à l'intérêt de l'enfant" (TA Dijon, 29 novembre 2024, n° 2403008 ; cf. également TA Besançon, 12 novembre 2024, n° 2401431, susmentionné). De la même façon, le tribunal administratif de Versailles a considéré que des requérants qui se bornent à faire valoir que leur fille de quatre ans "a été jusqu’à présent instruite en famille et que ce mode d’éducation présenterait pour elle l’intérêt d’une "continuité pédagogique"" ne caractérisent pas une situation propre à leur enfant (TA Versailles, 26 novembre 2024, n° 2407104).

Les juges de première instance ont également eu l’occasion de se prononcer sur certains types de comportement ou caractéristiques chez l’enfant. Le tribunal administratif de Toulouse a ainsi estimé, alors qu’il était fait état de l’hypersensibilité d’un enfant de trois ans, que "ce seul élément (…) ne saurait caractériser une situation propre à l’enfant de nature à justifier un projet pédagogique d’instruction en famille par dérogation au principe de l’instruction dans un établissement d’enseignement public ou privé, lequel est en mesure de prendre en compte de telles considérations générales et fréquentes chez des enfants de trois ans" (TA Toulouse, 17 mai 2023, n° 2204269).

Le multilinguisme de l’enfant n’a pas non plus été retenu dans plusieurs jugements comme constituant une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif (cf. TA. Dijon, 29 novembre 2024, n° 2403077). Plus précisément, a été écartée la circonstance qu’une enfant "sui[ve] un enseignement trilingue qui lui est indispensable dès lors que de nombreux membres de sa famille résident à l’étranger et ne parlent qu’en anglais" (TA Melun, 8 novembre 2024, n° 2410733), qu’elle "[soit] exposée à une diversité linguistique du fait de sa double nationalité française et italienne [et] qu’elle manifeste de l’intérêt pour la langue anglaise" (TA Grenoble, 23 décembre 2024, n° 2406086), qu’elle "ait commencé à apprendre d’autres langues (langue des signes, anglais, mandarin) (…) [alors qu’elle peut] d’ailleurs continuer à apprendre les langues étrangères en dehors des cours" (TA Melun, 30 août 2024, n° 2407743) ou encore que des enfants "issus d’une famille anglophone d’origine américaine (…) doivent parfaire leur maîtrise de la langue anglaise afin de maintenir un lien avec cette culture au même titre que les autres membres de [la] fratrie" (TA Cergy Pontoise, 19 décembre 2023, nos 2308890 et 2308893).

Enfin, si certains tribunaux administratifs ont considéré que, pour apprécier l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, l’administration dispose uniquement de la possibilité de vérifier la complétude du dossier et l’adéquation du projet éducatif avec la situation propre à l’enfant alléguée, sans exercer de véritable contrôle, ces décisions font l’objet de recours, en appel et en cassation de référé, qui sont actuellement en cours d’instruction devant les juridictions compétentes et ne semblent pas correspondre à la position du Conseil d’État (cf. CE, 13 décembre 2022, n° 467550, aux tables du recueil Lebon).

Mathilde Bauché
Camille Dasset
Alexandre Malinvaud

Actualités

Crise – Situation exceptionnelle

Relations avec les collectivités territoriales

  • Reconstruction des écoles à Mayotte – Intervention de l’État

Loi n° 2025-176 du 24 février 2025 d'urgence pour Mayotte
JORF du 25 février 2025

La loi du 24 février 2025 a pour objet la mise en place, en urgence, de mesures qui permettent de faciliter les opérations de reconstruction sur le territoire de Mayotte et l’accompagnement de la population et des acteurs économiques mahorais, à la suite des dégâts causés par le cyclone Chido et des événements climatiques survenus entre le 13 décembre 2024 et le 13 mai 2025.

En particulier, et s’agissant de l’éducation nationale, son article 3 vise à permettre, jusqu’au 31 décembre 2027, la reconstruction du bâti scolaire par l’État.

À cette fin, par dérogation à l’article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales et aux articles L. 212-1, L. 212-4 et L. 212-5 du code de l’éducation, qui prévoient que la charge des écoles publiques incombe aux communes, il habilite l’État ou l’un de ses établissements publics à assurer "la reconstruction, la rénovation, la réhabilitation, l'extension, les grosses réparations et l'équipement des écoles publiques". Cette mission est réalisée dans le respect de la réglementation, notamment en matière de prévention des risques naturels, d’hygiène et de santé, ainsi que du caractère adapté des équipements aux spécificités de la situation mahoraise.

Ce même article garantit également le respect du principe de libre administration des communes concernées, en précisant que l’intervention de l’État est conditionnée à une demande de ces communes et que la construction et l’implantation d’une nouvelle école ainsi que l’ouverture d’une ou plusieurs classes, notamment en cas d’extension ou de reconstruction d’un bâtiment, sont soumis à l’avis conforme de la commune.

 

 

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Ont participé à ce numéro : Marie Alabrune, Mathilde Bauché, Jennifer Bême, Cédric Benoit, Louise Benoit, Florence Brown, Valentin Dailly, Camille Dasset, Chloé De Jonckheere, Clément de Mecquenem, Philippe Dhennin, , Jules Dietsch, Stéphanie Frain, Agathe Frenay, Calixthe Girod, Julien Hée, Carla-Mary Hennion, Sémira Khier, Jean Laloux, Barbara Le Guennec, Andréa Leboutet, Alexandra Lecomte, Chloé Lirzin, Alexandre Malinvaud, Alexis Maquart, Pauline Ozenne, Matilde Razan, Roxane Roy, Sébastien Sermonne, Mathis Seureau, Virginie Simon, Baptiste Soubrier, Marlène Spinhirny, Vincent Tourneur, Juliette Uzabiaga

N° ISSN : 1265-6739