Climat scolaire et bien-être à l'école

Ce numéro spécial de la revue Éducation et formations s’intéresse au climat scolaire et au bien-être à l'école. Ces concepts y sont définis et discutés dans leurs multiples dimensions individuelles et collectives : goût pour l'école, satisfaction professionnelle, relations entre élèves, relations entre enseignants et élèves, rapport aux évaluations, sentiment de sécurité, etc. Ces dimensions sont confrontées aux caractéristiques des individus et des établissements. La construction et l'analyse des indicateurs de climat scolaire et de bien-être nécessitent des méthodes statistiques appropriées.

Coordination éditoriale : Fabrice Murat et Caroline Simonis-Sueur

Avant-propos

Fabrice Murat, Caroline Simonis-Sueur
Le bien-être renvoie à un degré de satisfaction individuel, des élèves ou des personnels, dans différents aspects de la vie scolaire. Le climat scolaire, quant à lui, ne se réduit pas à un indicateur agrégé des niveaux de bien-être individuels. Sa définition fait intervenir des dimensions collectives, en rapport avec les relations entre les élèves, les enseignants, les parents, etc. Par ailleurs, le climat scolaire n'est pas observé en tant que tel : on ne peut en mesurer que les conséquences (nombre de faits de violence, taux d'absentéisme) ou recueillir le point de vue des différents acteurs. Or, même sur les facteurs les plus « objectifs », comme la qualité des locaux, les perceptions des intervenants au sein d'un même établissement peuvent varier très significativement, en particulier en fonction de leur profil, personnels de direction, enseignants et élèves.

Du « climat scolaire » : définitions, effets et politiques publiques

Éric Debarbieux, Université Paris-Est
L’amélioration du climat scolaire est devenue un enjeu majeur de politique publique en matière d’éducation. Encore faut-il définir clairement ce qu’est le climat scolaire, et établir quelle est son influence sur le fonctionnement du système éducatif et celui des établissements scolaires. Cet article présente les résultats de la recherche scientifique, en particulier internationale, sur ce sujet. La notion de climat scolaire n’est pas simplement le cumul des niveaux de bien-être individuels. Elle inclut aussi une dimension collective, en particulier par la prise en compte des relations entre les personnes. Objectif important en tant que tel, un bon climat scolaire permet également de faire progresser les résultats en matière d’apprentissage ou de sécurité. Le degré de multivictimation des élèves varie ainsi fortement en fonction du climat scolaire. La recherche montre aussi que des actions pour améliorer le climat scolaire sont possibles, en impliquant les différents acteurs, les élèves, les parents et les personnels. Ces acteurs n’ont pas toujours la même vision du climat scolaire. Aussi, pour objectiver les débats, les enquêtes de victimation sont un outil fondamental, que ce soit au niveau national, par la publication de statistiques de référence, ou au niveau local, pour permettre aux équipes de terrain d’établir un diagnostic partagé de la situation dans un établissement.

L’école à l’ère du 2.0 : climat scolaire et cyberviolence

Catherine Blaya, Observatoire International de la Violence à l’École, Université Nice Sophia Antipolis
Le « cyberespace » est l’occasion pour les jeunes d’expériences très enrichissantes, mais peut aussi favoriser le développement de nouvelles formes d’agression. La cyberviolence a des spécificités, notamment du fait de la diffusion rapide et durable des messages sur Internet et des possibilités d’anonymat pour les auteurs d’agression. Cependant, la cyberviolence n’est pas déconnectée de la violence IRL (In Real Life). D’une part, l’étude de la cyberviolence implique la même distinction que pour la violence « ordinaire » selon le niveau d'intensité, conduisant à retenir le terme de cyberharcèlement pour les cas les plus graves d’agressions répétées par des moyens de communication électronique. D’autre part, les deux phénomènes sont étroitement liés, les mêmes personnes subissant souvent les deux types de violence par voie électronique et IRL. Un lien entre la cyberviolence et une vision dégradée du climat scolaire a aussi été établi. Ceci confirme la nécessité de développer dans les établissements scolaires des campagnes de formation sur la cyberviolence, pour en décrire l’ampleur et les conséquences, favoriser son repérage, d’autant plus que certains personnels de l’Éducation nationale se sentent désarmés dans un domaine que les élèves maîtrisent souvent mieux qu’eux.

Le climat scolaire vu par les chefs d’établissement du second degré public

Benjamin Beaumont, MENESR-DEPP
La thématique du climat scolaire suscite une attention marquée de la part des acteurs politiques. Les travaux universitaires récents soulignent notamment l’influence du contexte d’apprentissage sur les performances scolaires. Pour compléter ces analyses, l’enquête Sivis (Système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire), menée auprès d’un échantillon d’établissements du second degré public, recueille le point de vue des chefs d’établissement sur le climat scolaire, et collecte les incidents graves survenant en milieu scolaire. Le présent article vise d’abord à apporter une mesure quantitative du climat scolaire à l’aide d’un indice synthétisant les réponses au questionnaire d’enquête. Ensuite, il présente quelques modèles statistiques mettant en évidence des facteurs explicatifs du climat scolaire, notamment l’influence des données des élèves et des personnels, des caractéristiques de l’établissement et du quartier où il se trouve.

Où fait-il bon enseigner ?

Cédric Afsa, MENESR-DEPP
Lorsqu’un enseignant exprime sa satisfaction ou son insatisfaction professionnelle, il nous parle directement de son bien-être et plus indirectement de la qualité du cadre de vie dans lequel il exerce son métier et qui constitue une des dimensions du climat scolaire.
Le climat varie significativement d’un établissement à l’autre. C’est ce que nous rapportent les enseignants de collège qui ont répondu à une enquête menée en 2013, sur laquelle s’appuie cet article. L’enquête met notamment en évidence que les enseignants préfèrent travailler dans un collège du secteur privé plutôt que dans un collège public, surtout lorsque celui-ci relève de l’éducation prioritaire. En outre, ils se sentent mieux dans des établissements « à taille humaine » (autour de 400 élèves). Enfin, le climat scolaire est sensible au contexte socio-économique local : il est plus pesant dans les territoires où les familles sont exposées à des problèmes de pauvreté.

Le climat scolaire perçu par les collégiens

Tamara Hubert, MENESR-DEPP
Dans le cadre de l’enquête nationale de victimation et de climat scolaire menée auprès des collégiens au printemps 2013 par le ministère de l’Éducation nationale, un indice synthétique a été créé, à l’aide des réponses données aux questions portant sur le climat scolaire. Ces variables catégorielles ont été transformées en variables quantitatives ordonnées où à chaque réponse correspond une intensité allant de 1 (très mauvais) à 4 (très bon). Le climat scolaire apparaît comme pluridimensionnel, mais un indice global peut cependant être calculé. Cet indice a permis d’étudier les déterminants du climat scolaire chez les collégiens à deux niveaux : au niveau individuel (les élèves) et au niveau de l’établissement. Des modèles ont été construits en introduisant successivement des variables relatives aux élèves, aux établissements, aux quartiers dans lesquels se trouvent les établissements, aux performances des élèves et aux violences déclarées par les élèves. Le nombre de victimations citées par les élèves est le facteur ayant le plus d’influence sur le climat scolaire ressenti, dans un sens négatif. Il semblerait donc qu’au-delà des effets de quartier et de l’établissement, les violences subies au quotidien par les élèves altéreraient plus fortement leur climat scolaire que les violences graves déclarées au niveau de l’établissement.

L’absentéisme des élèves soumis à l’obligation scolaire : un lien étroit avec le climat scolaire et le bien-être des élèves

Sophie Cristofoli, MENESR-DEPP
L’absentéisme des élèves est un phénomène complexe, difficile à définir et donc à mesurer. Il s’agit pourtant d’un enjeu d’importance. Plusieurs études, menées depuis plus de vingt ans, ont montré que l’absentéisme des élèves était souvent précurseur de la déscolarisation ou du décrochage scolaire, qu’il était un symptôme lié non seulement aux conditions de scolarité, mais aussi à la situation socio-familiale et à certains facteurs personnels. Il peut être l’expression d’un malaise, voire d’un mal-être, chez l’élève concerné. Étroitement lié au climat scolaire, il en est un des indicateurs. Les enquêtes PISA 2012 et victimation 2013 présentent chacune des questions sur le climat scolaire, le bien-être de l’élève et son assiduité scolaire. Ces deux enquêtes ciblent uniquement des élèves soumis à l’obligation scolaire, des adolescents de 15 ans pour l’une et des collégiens pour l’autre. Ces données vont être exploitées ici afin d’apporter quelques éclairages sur les liens complexes que l’absentéisme entretient avec les caractéristiques sociales et familiales des élèves, leur rapport à l’école et leurs performances scolaires. L’objectif de cet article est de mettre en évidence l’association de l’absentéisme avec le bien-être de l’élève et d’apporter quelques éléments descriptifs de cette relation.

Les relations entre milieu social, climat scolaire et réussite scolaire en Israël : les hypothèses de compensation, de médiation et de modération

Ruth Berkowitz, Ron Avit Astor, University of Southern California, USA; Hagit Glickman, Tal Raz, Nurit Lipshtadt, National Authority for Measurement and Evaluation, Israël ; Rami Benbenishty, Elisheva Ben-Artzi, Bar Ilan University, Israël
Il est largement admis parmi les chercheurs et les praticiens qu’un climat scolaire positif peut atténuer l’influence du milieu social des élèves (au niveau individuel et de l’école) sur la réussite scolaire. Néanmoins, les mécanismes exacts de ce phénomène ne sont pas clairs. Cette étude cherche à combler cette lacune, en développant une évaluation fiable et complète du rôle du climat de l’école dans la relation entre le milieu social et la réussite scolaire. Cette étude a spécifiquement testé si le climat de l’école a une influence complémentaire sur les performances académiques, par rapport au milieu social (modèle de compensation), si le milieu social de l’école influe sur son climat scolaire, qui influence à son tour la réussite scolaire (modèle de médiation), ou si la relation entre le milieu social et les performances académiques diffère selon les écoles (modèle de modération).
Cette analyse secondaire d’un échantillon national représentatif d’élèves des cinquième et huitième années dans les écoles publiques en Israël où l’enseignement est en hébreux, montre que le climat de l'école joue un rôle important dans les résultats scolaires, indépendamment du milieu social de l’élève et de son école. Le climat scolaire a un effet de compensation sur les performances académiques, à la fois aux niveaux de l'école et de l'élève. Le climat scolaire modère aussi la relation entre les performances et le milieu social des élèves. En revanche, l'hypothèse d’effet de médiation du climat de l'école sur la relation entre le milieu social et la réussite scolaire n’est pas confirmée. Ces résultats mettent en évidence la nécessité d’améliorer le climat des écoles, en particulier dans celles scolarisant les populations les plus défavorisées, afin de faire progresser la mobilité sociale et l’égalité des chances.

Élèves handicapés ou porteurs de maladies chroniques : perception de leur vie et de leur bien-être au collège

Emmanuelle Godeau, rectorat de Toulouse, INSERM UMR 1027 – Université Paul-Sabatier, Toulouse; Mariane Sentenac, Dibia Liz Pacoricona Alfaro et Virginie Ehlinger, INSERM UMR 1027 - Université Paul-Sabatier, Toulouse
En cohérence avec une dynamique internationale d’inclusion scolaire, le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire en France a largement augmenté ; leur vécu scolaire mérite désormais d’être considéré. En 2014, une enquête pilote a été conduite en France. Elle est adossée à l’enquête internationale HBSC (Health behaviour in school-aged children), et a collecté des données comparables à celles des collégiens « valides », chez des collégiens porteurs de maladies chroniques/de handicap, scolarisés individuellement ou collectivement en unités localisées d’inclusion scolaire (ULIS), sur leur santé, leurs comportements de santé et leur vécu scolaire. Après accord parental, 7 023 collégiens tirés au sort ont complété en classe un auto-questionnaire anonyme standardisé, pendant qu’une version adaptée du questionnaire (raccourcie, simplifiée, illustrée, etc.) a été administrée en classe à 700 élèves d’ULIS.
Le ressenti des élèves en classe ordinaire déclarant une maladie chronique, un handicap avec restriction de participation à l’école diffère de celui de leurs pairs valides : moins bonne satisfaction concernant leur vie, part supérieure de victimes de brimades, santé perçue plus négative, plus de redoublement. Les réponses des élèves scolarisés en ULIS tendent à être plus positives que celles des valides pour les indicateurs de santé perçue, mais la part de ceux qui se déclarent victimes de brimades est supérieure. Globalement, il apparaît que les élèves en scolarisation ordinaire sont moins satisfaits de leur vie que ceux qui sont scolarisés en ULIS.

Le bien-être des élèves à l’école et au collège : validation d’une échelle multidimensionnelle, analyses descriptives et différentielles

Philippe Guimard, Fabien Bacro, Séverine Ferrière, Agnès Florin et Tiphaine Gaudonville, Université de Nantes, Centre de Recherche en Éducation de Nantes ; Hué Thanh Ngo, École Internationale – Université Nationale du Vietnam à Hanoï
Cet article présente une partie des recherches réalisées dans le cadre d’une convention financée par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), le Défenseur des droits et le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET). Il vise plus particulièrement à valider un outil d’évaluation du bien-être chez des élèves à l’école primaire et au collège et à analyser les différences interindividuelles de bien-être. L’autoévaluation du bien-être des élèves a été réalisée au moyen d’un questionnaire comportant six dimensions appréhendant leur sentiment de sécurité dans l’établissement, les relations paritaires, les relations avec les enseignants, la satisfaction à l’égard de la classe, les activités scolaires et le rapport aux évaluations. L’étude porte sur un échantillon de 1 002 élèves (550 écoliers et 452 collégiens) scolarisés dans la région nantaise, du CE2 à la quatrième de collège, dans des établissements publics, situés ou non en éducation prioritaire, et dans des établissements privés. Les résultats montrent d’une part que le questionnaire multidimensionnel présente des qualités de mesure acceptables. Il apparaît d’autre part que les élèves se sentent en sécurité et qu’ils sont satisfaits de ce qu’ils vivent en classe et des relations paritaires. Toutefois, leur appréciation de leurs relations avec les enseignants, des activités en classe et des évaluations scolaires est plus négative. Enfin, les différences interindividuelles de bien-être sont en partie expliquées par la structure familiale, l’âge, le sexe, les parcours scolaires et les caractéristiques de l’établissement.

Relations professeurs-élèves en lycée : trois stratégies d’enseignants mises en débat

Hélène Veyrac et Julie Blanc, Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, École nationale de formation agronomique, Université Toulouse - Jean Jaurès, UMR éducation, formation, travail et savoirs.
Pour agir efficacement, les enseignants adoptent, consciemment ou non, des stratégies en classe, dans leur façon d’interagir avec les élèves. Une analyse de ces stratégies a été menée auprès de 69 enseignants de lycées professionnels publics français, puis trois d’entre elles ont été soumises à la réflexion d’enseignants de cinq de ces lycées.
Ces trois stratégies comportent, pour les auteurs, chercheurs en sciences de l’éducation et en ergonomie, des traces ou des prémices de déshumanisation de la relation professeur/élèves. La première consiste à déstabiliser des élèves en recourant par exemple à l’ironie, confinant parfois à l’humiliation. La deuxième concerne des situations dans lesquelles l’enseignant délègue une partie de ses tâches d’enseignement à des élèves « moteurs ». Enfin, la dernière consiste à, intentionnellement, ne pas prendre en charge certains élèves, repérés comme « inintéressés » ou « absentéistes ». Les débats au sein des cinq équipes éducatives ont eu des dynamiques propres. Les stratégies y ont souvent été justifiées par des intentions d’agir efficacement et des besoins de se protéger, empêchant, selon les auteurs, la prise en compte de leur « réception affective » par les élèves.

Satisfaction professionnelle des enseignants du secondaire : quelles différences entre public et privé ?

Nathalie Billaudeau et Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Fondation d’entreprise MGEN pour la santé publique
Scolarité payante, sélection des élèves, autonomie des chefs d’établissement... L’enseignement privé, vis-à-vis du public, présente des spécificités qui pourraient se répercuter sur le bien-être scolaire. Dans l’enquête « Qualité de vie des enseignants » (Fondation MGEN/MENESR-DEPP), le ressenti professionnel des professeurs du secondaire privé sous contrat a été comparé à celui de leurs homologues du public. Lorsqu’on les interroge sur leur bilan professionnel, les enseignants du privé se déclarent plus souvent satisfaits que ceux du public (89 % contre 80 %). L’écart de satisfaction s’atténue, mais reste significatif si l’on tient compte des différences de conditions d’exercice (risques psychosociaux, violence au travail, état des locaux, etc.). En ajustant sur ces mêmes facteurs, les enseignants du privé présentent moins de risques de souffrir d’épuisement émotionnel. Concernant l’appréciation de l’évolution du métier, la qualité de la relation à l’élève et l’accomplissement personnel au travail, les différences sont plus nuancées. Cet état des lieux du ressenti professionnel des professeurs du secondaire en fonction du secteur d’enseignement apporte un éclairage nouveau sur les différences et similitudes entre privé et public. En pointant les facteurs associés à une meilleure satisfaction professionnelle des enseignants, il suggère des pistes très générales de promotion du bien-être au travail dans les établissements du secondaire, quel que soit le secteur.

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Revue Éducation et formations, n° 88-89, décembre 2015