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Bulletin Officiel
de l'Education Nationale
 

HS N°8 du 21 octobre

1999

www.education.gouv.fr/bo/1999/hs8/texte.htm - vaguemestre@education.gouv.fr




L'ÉCOLE DE TOUS LES POSSIBLES

LES LANGAGES,
PRIORITÉ DE L'ÉCOLE MATERNELLE

Instruction du 8 octobre 1999
NOR : SCOB9902254J
RLR : 513-2
MEN
 
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Texte adressé aux rectrices et recteurs ; aux inspectrices et inspecteurs d'académie, directrices et directeurs des services départementaux ; aux inspectrices et inspecteurs de l'éducation nationale ; aux directrices et directeurs d'école ; aux enseignantes et enseignants.

o L'école maternelle accueille actuellement la quasi-totalité des enfants de trois à six ans et près de 35 % des enfants de deux ans. Reconnue pour sa créativité pédagogique, école de plein exercice, la maternelle constitue le socle éducatif sur lequel s'érigent les apprentissages systématiques de l'école élémentaire.

Le présent texte n'aborde pas toutes les activités de l'école maternelle. Il met l'accent sur la maîtrise des langages comme enjeu prioritaire : non pas un domaine parmi d'autres mais ce qui, entre tous, fait le lien et le fondement sur lequel s'édifient tous les apprentissages.
L'école maternelle, première étape de la réussite scolaire
L'école maternelle favorise l'épanouissement et le développement des capacités sensorielles, motrices, relationnelles et intellectuelles de tous les enfants qu'elle accueille. Chez tous, elle organise l'acquisition de compétences langagières déterminantes. Cependant, certains enfants abordent le CP en situation déjà problématique et bien des élèves en difficulté au collège l'étaient déjà en maternelle. C'est donc là, dès les premières années, que l'on doit d'abord prévenir l'échec précoce et la démobilisation scolaire qui en résulte souvent.

L'école, certes, n'est pas seule en cause. Elle reçoit des enfants qui sont le produit d'histoires et de contextes très différents : leur maniement du langage oral et leurs occasions de rencontres avec l'écrit sont extrêmement variables. Les inégalités de la naissance et des conditions de vie rendent incontestablement complexe la tâche des enseignantes et enseignants mais la volonté de les compenser et le refus de tout fatalisme doivent mobiliser les maîtresses et les maîtres dès les premières années de la scolarité.

L'école maternelle dispose d'une marge de manœuvre et d'efficacité dont l'exploration systématique s'impose aux équipes pédagogiques. Sans forcer inconsidérément les rythmes ni opter pour des apprentissages formels prématurés mais également sans attentisme et en maintenant pour chacun un niveau d'exigence qui incite à aller de l'avant, l'école maternelle peut permettre à tous ses élèves d'aborder le CP avec une maîtrise de l'oral et une initiation à l'écrit suffisamment abouties pour y réussir. Mieux armés par le succès de ces apprentissages premiers, les enfants peineront moins à embrayer sur les apprentissages fondamentaux de l'école primaire ; ils accèderont plus facilement à la lecture autonome et vivront une scolarité dont les progrès continus conforteront leur confiance en eux.

L'école maternelle bénéficie d'atouts précieux : la plasticité et la curiosité des jeunes élèves à une période du développement enfantin où l'évolution est très rapide ; la possibilité de conjuguer étroitement plaisir d'apprendre et efficacité scolaire ; une bienveillance et une espérance parentales fortes. L'effort entrepris en faveur de la scolarisation à deux ans, dans des conditions évidemment adaptées au très jeune âge de ces élèves, sera poursuivi, tout particulièrement dans les zones d'éducation prioritaire où cet accueil précoce favorise l'adaptation progressive à l'école et vise à donner une chance de plus aux enfants qui n'ont pas nécessairement à portée de la main toutes les ressources extra-scolaires dont d'autres bénéficient.

En matière de prévention de l'échec et de démocratisation des conditions de la réussite scolaire, la responsabilité de l'école maternelle est à la mesure de sa place éminente et fondatrice. École de tous les possibles, l'ambition est à sa portée.

Qualité des apprentissages et savoir-faire professionnels

Les débats et les échanges qui ont eu lieu lors des "États généraux de la Lecture et des Langages" (en particulier dans l'atelier "Maternelle, maîtrise des langages et commencements") ont témoigné du rôle déterminant de ces trois et souvent quatre années de maternelle. Ils ont mis en évidence l'importance de la qualité des apprentissages effectués en maternelle afin que tous les élèves (quelles que soient les différences de leurs acquis antérieurs ou familiaux ou leur degré de familiarisation avec les codes et pratiques en usage à l'école) acquièrent progressivement les outils cognitifs et langagiers nécessaires à une bonne scolarité élémentaire.
On ne saurait opposer l'école du plaisir et de l'épanouissement à celle des apprentissages structurés : l'école maternelle doit au contraire offrir à tous la première expérience réussie d'un plaisir éprouvé dans le travail, de la jubilation de découvrir, du pouvoir de penser pour mieux faire. Si on y privilégie le "faire", c'est avec le souci de "faire comprendre" car, au-delà des réussites ponctuelles et des réalisations visibles, ce sont bien des connaissances explicites et des savoir-faire transférables qu'il s'agit de commencer à engranger.
Les langages au cœur des apprentissages
Le langage correspond aux activités de réception et de compréhension (écouter, lire) et aux activités de production (parler, écrire), qu'elles soient effectuées par les enfants eux-mêmes ou par l'intermédiaire de l'enseignante ou de l'enseignant. L'entrée dans l'écrit constitue une étape délicate pour nombre d'enfants qui ne parviennent pas à comprendre que le langage est à la fois un outil de communication et un objet d'étude. L'école maternelle doit y préparer efficacement.

Accorder à la langue et aux langages une place déterminante dans les objectifs et les pratiques de la scolarité maternelle résulte d'abord de ce constat : leur maîtrise entre dans la construction de tous les apprentissages ; c'est une dimension et souvent une condition de l'acquisition de toutes les compétences, transversales et disciplinaires, prévues au fil du Cycle 1. Affirmer cette primauté, c'est cibler la source majeure des inégalités scolaires et des difficultés ultérieures de nombre d'élèves. C'est vouloir que l'école maternelle soit, pour tous, la première étape de la réussite scolaire.
Cette priorité ne se conçoit pas aux dépens des autres domaines d'activité mais à partir de tous ces champs de découverte servant l'éveil, l'épanouissement et les apprentissages des enfants. Les jeux, les exercices, les situations d'échange seront d'autant plus riches que les différentes activités intègreront sciemment cette dimension langagière et que leurs enjeux seront clairement identifiés et hiérarchisés.

Le langage aide à mettre en perspective les expériences vécues. Le travailler à l'école maternelle, c'est aussi permettre aux élèves de se familiariser précocement avec ses différents registres et d'approcher ainsi, de manière adaptée à leur âge, le sens des apprentissages scolaires. C'est en effet dès la maternelle que doit commencer à se mettre en place une attitude scolairement efficace, entraînant l'élève à percevoir, au-delà de la tâche effectuée, son enjeu véritable. C'est ainsi que, dès ce stade, peuvent être prévenus bien des malentendus caractéristiques des élèves en difficulté dans les premier et second degrés, qui échouent à entrer dans des activités proprement cognitives alors même qu'ils se conforment formellement aux consignes données.

I - LE LANGAGE ORAL, PIVOT DES APPRENTISSAGES À L'ÉCOLE MATERNELLE


L'école maternelle est d'abord l'école de la parole mais l'apprentissage de l'oral s'effectue aussi ailleurs, notamment dans la famille. L'hétérogénéité des habitudes linguistiques des enfants peut être source de malentendu et les enseignantes et les enseignants tiennent parfois pour agressifs des usages qui ne sont, pour les élèves, qu'ordinaires quoique proscrits dans le cadre scolaire.

C'est avec bienveillance que doivent être accueillies les premières formes de communication, souvent inscrites dans les échanges non verbaux et les premiers mots. Il s'agit d'accompagner ces essais en respectant l'histoire linguistique singulière de chaque enfant afin de le mener au registre commun du langage requis par l'école.

Un langage explicite et structuré


De la petite à la grande section, les activités mises en œuvre doivent permettre :

- d'apprendre à échanger,
d'abord en situation duelle puis en petits groupes et en groupe-classe rassemblé. La participation, qui se borne souvent dans un premier temps à la juxtaposition de la parole de l'enfant à celle des autres (ce peut être une première conquête importante) devient plus interactive et suppose alors l'écoute et la régulation de son propos pour se faire comprendre. Le maniement d'un langage explicite et structuré, prenant ses distances avec les communications de connivence et de proximité, portant en lui-même toutes les données qui rendent possible la compréhension par l'autre, constitue un objectif essentiel de la scolarité maternelle et déterminant pour les apprentissages ultérieurs ;

- d'apprendre à pratiquer des fonctions variées du langage :
désignation, description, évocation, interprétation, questionnement, jeux avec les mots témoignent de ce que le langage, d'abord associé à l'action et au contexte présent, devient langage de représentation, véhicule de l'imaginaire et vecteur d'apprentissages ;

- d'apprendre à comprendre :
écouter et interroger, s'interroger, établir des relations avec des expériences antérieures et des connaissances, confronter ses représentations à celles des autres, justifier son interprétation sont autant de modalités d'un travail de la compréhension (qui concerne également l'écrit et les images) à pratiquer régulièrement ; la réflexion collective amorce et alimente ainsi la réflexion individuelle autonome ;

- d'apprendre à s'intéresser au fonctionnement du langage
en en faisant un objet de jeu, de manipulation (des sons, des rythmes, des intonations, des mots, des structures) et de réflexion. Des habiletés fonctionnelles se mettent en place à l'occasion d'activités ludiques, poétiques, etc, puis dans des moments de travail spécifiques. Si elles commencent à devenir efficaces sans que pré-existent des savoirs explicites sur le langage et la langue, ce processus d'initiation mis en œuvre, en tenant compte des différences des élèves, organise une première prise de conscience qui doit, dans toute la mesure du possible, être aboutie à la fin de la scolarité maternelle.

Toutes ces activités font également la part du silence, de ces moments collectifs mais aussi individuels où la parole s'intériorise et où l'on peut, même petit, apprendre en se taisant. Elles ne dissocient pas l'oral de sa dimension physique et veillent à distinguer (pour les traiter de manière adaptée) les difficultés proprement langagières des inhibitions relatives à l'affirmation de soi en situation collective.

Comme le montrent de nombreux exemples, de petits travaux d'expérimentation scientifique (en groupe, classe ou atelier) permettent, entre autres, de roder de premiers rudiments de discours explicatif et argumentatif (formulation et vérification d'hypothèses simples, récit aux absents, etc.). De même, les pratiques artistiques et en particulier théâtrales constituent des supports féconds d'activités proprement langagières.
L'école maternelle est partie prenante de l'effort du système éducatif en faveur de l'apprentissage précoce des langues étrangères. Elle le fait à sa manière, en familiarisant les enfants avec l'écoute d'autres sonorités. Les chansons et comptines d'autres pays, les dessins animés dans d'autres langues, la venue de conteurs étrangers ou d'autres intervenants extérieurs, la sollicitation des enfants eux-mêmes ou des parents dans les cas où d'autres langues que le français sont parlées à la maison, etc. : les occasions sont nombreuses de stimuler une ouverture et une curiosité qui confortent les apprentissages présents et favoriseront les apprentissages ultérieurs. Ce peut être aussi une façon de valoriser, aux yeux et au profit de tous, les langues d'origine de parents venus d'ailleurs, de prendre appui sur le bilinguisme de certains élèves pour entraîner la classe. S'agissant en particulier des langues européennes dont la maîtrise constituera une nécessité pour l'avenir scolaire et professionnel des jeunes générations, l'intervention dans les classes de maternelle de locuteurs natifs doit être encouragée ainsi que toutes les initiatives des équipes pédagogiques allant dans le sens d'une approche précoce.

Des modalités de regroupement souples pour satisfaire des besoins variés

Si les temps de langage avec toute la classe rassemblée ont un réel intérêt pour la régulation de la vie collective et sont, par exemple, des moments privilégiés pour les comptines, contes et chants, ils ne peuvent constituer les seules occasions d'entraînement et d'évaluation des compétences langagières, surtout pour les enfants qui n'ont pas encore un usage suffisamment aisé du langage. Les situations collectives (que la répartition de la parole y soit spontanée ou guidée par l'enseignante ou l'enseignant) consacrent souvent les inégalités entre parleurs, sans d'ailleurs que l'on puisse nécessairement conclure de la "quantité" à la "qualité" de la prise de parole ou de l'aisance langagière à la maîtrise des contenus d'enseignement. Il ne faudrait pas non plus en déduire que les enfants silencieux ne sont pas intéressés ou ne comprennent pas.

Attentifs aux différences entre les élèves en matière de fréquence, de contenus et de formes discursives, les maîtresses et les maîtres de maternelle prévoient des moments, voire organisent des ateliers auxquels ils assignent des objectifs langagiers précis : groupes de conversation pour favoriser les prises de parole et initier aux règles de l'échange, groupes de besoin pour entraîner une compétence spécifique, etc. Par des jeux langagiers, à partir de supports variés et de situations stimulantes faisant néanmoins place à ce qu'il faut de stabilité pour que les enfants tirent profit des variations didactiques introduites, ces ateliers s'attachent à réunir les conditions de progrès effectifs pour chacun. Cette démarche doit être encouragée avec, pour un même groupe, une régularité qui en garantisse l'efficacité (une séance par semaine par exemple) mais avec le souci également de ne pas figer au-delà du nécessaire sa composition initiale.

Une exigence bienveillante


L'exigence a pleinement sa place à l'école maternelle. Elle procède de l'intérêt bien compris des plus précoces comme des plus fragiles, les uns comme les autres étant à solliciter fortement quoique parfois différemment. Elle fait la part de l'étayage et de l'enseignement, de manière adaptée au jeune âge des élèves.

Prenant appui sur les intérêts des écoliers afin de créer des situations qui les engagent à parler, la maîtresse ou le maître suscite les prises de parole et les interactions réelles. Il conduit des dialogues personnalisés pour faire réussir une intention de communication et guider vers une parole efficace en stimulant les essais, en signalant ce qui est source d'incompréhension, en valorisant une production aboutie. Au quotidien, tous les moments qui s'offrent pour ces dialogues doivent être exploités et tous les objets sont également à saisir (l'émission de télévision regardée à la maison, l'incident dans la cour de récréation, etc.).
Dans toutes les circonstances, l'enseignante ou l'enseignant veille à ce que ses propos soient explicites et compréhensibles afin de rendre efficaces les efforts des enfants qui doivent distinguer parmi ses mots ceux qui leur sont utiles. Il attire l'attention des élèves sur des formes particulières, en mettant en évidence la justesse des mots et des tournures, en reformulant des phrases malhabiles avec une insistance marquée sur les variations introduites ou quelques expansions des propos émis, en sollicitant avec tact une correction. Il est vigilant sur la qualité de la prononciation, l'enrichissement lexical, la complexité et la pertinence des constructions. C'est dans le cadre d'un travail plus large sur le langage et son adaptation aux situations de communication qu'il peut intégrer un travail sur la langue et sa syntaxe.

Évaluer l'oral : une expertise difficile mais nécessaire


Volatil, l'oral n'est pas facile à évaluer. Il n'est pourtant pas d'enseignement légitime et d'apprentissages efficaces sans recours à l'évaluation comme outil pédagogique et réflexif permettant à la maîtresse ou au maître de savoir où chaque élève en est et d'adapter au mieux ses dispositifs. L'évaluation suppose d'abord qu'un objectif ait été bien identifié pour que des indicateurs de réussite soient précisés.

Mais cette nécessaire clarté pédagogique des choix opérés en amont ne suffit pas à régler la question de l'évaluation. Il faut encore bien choisir les productions orales, les réalisations diverses au travers desquelles la maîtresse ou le maître peut repérer les manifestations des compétences. Des grilles ou des guides, qui ne privilégient pas à l'excès l'évaluation quantitative au détriment de l'évaluation qualitative, peuvent aider les enseignantes ou les enseignants ; de nombreuses équipes ont commencé à en mettre au point.
L'appel à contributions qui accompagne ce texte permettra, en partant des expériences les plus fructueuses menées dans les classes et des outils élaborés dans ce cadre, d'approfondir la réflexion sur la solidarité des dispositifs pédagogiques et évaluatifs afin de mettre, dans le courant de cette année, des ressources à la disposition de tous.

II - S'INITIER AU MONDE DE L'ÉCRIT


L'initiation à la culture écrite est une des missions de l'école maternelle. Elle doit stimuler et asseoir le désir de lire et d'écrire, favoriser la prise de conscience de la spécificité de l'écrit, organiser les premiers essais et préparer aux apprentissages du CP.
L'écrit a donc toute sa place à l'école maternelle. Il n'y a pas de "pré-requis", d'étape obligée ou de capacité instrumentale qui constitue un préalable nécessaire à la mise en contact des jeunes enfants avec l'écrit. Il existe en revanche des composantes identifiées d'une approche réussie de l'écrit et tout particulièrement de la lecture.
Les uns n'auront qu'à confirmer et perfectionner au CP un savoir-lire déjà acquis en maternelle. Les autres auront, à l'issue de la Grande Section, davantage de chemin à parcourir. Mais tous doivent quitter la maternelle munis du bagage et des attitudes adéquates pour réussir au CP. Or trop d'apprentis-lecteurs font, au CP, l'expérience amère de l'échec. Si les remédiations mises en place au fil de la scolarité ultérieure permettront, pour certains, de compenser en cours de route ce qui a fait défaut à l'origine, c'est néanmoins en grande partie chez les enfants en difficulté dès le CP qu'on trouve ceux dont les évaluations nationales attesteront plus tard la détresse scolaire persistante. L'école maternelle peut puissamment contribuer à prévenir l'instauration d'une relation malheureuse avec l'écrit : en donnant précocement une idée pertinente des buts et des fonctionnements du système de lecture-écriture, en favorisant l'accès des jeunes élèves à un premier niveau de conceptualisation de leurs rapports avec l'écrit. C'est dire, au-delà des habiletés à développer, l'extrême attention que l'enseignante ou l'enseignant de maternelle doit porter à ce processus d'appropriation par le jeune élève des enjeux de l'écriture. C'est dire aussi ce que la réussite d'une première éducation à l'écrit doit au bonheur d'une pratique partagée avec la maîtresse ou le maître et d'une coopération qui est la condition de l'autonomie à venir.

Avant même le temps des apprentissages formels, ce sont les attitudes mentales garantes d'une intégration harmonieuse dans le monde de l'écrit qu'il s'agit de forger en maternelle. Là, en effet, se forment ou se confortent le désir de lire et d'écrire ainsi que les représentations intellectuelles efficaces. L'enseignante ou l'enseignant se doit d'y être spécialement attentif, au double sens d'y prêter attention et d'en concevoir, pour chacun de ses élèves, des attentes équitablement exigeantes.

Les enfants qui arrivent en Cycle 1 ont eu des occasions très inégales de côtoyer l'écrit ; c'est à la maternelle qu'il revient en premier d'assurer un partage plus équitable de cette familiarité avec le monde de l'écrit et d'ébaucher pour tous une compréhension de ses enjeux. Le souci, légitime, de ne pas être trop directif ou trop normatif, au motif ordinaire de respecter des rythmes de maturation différents, ne doit pas conduire à laisser se creuser l'écart entre, d'un côté, ceux qui ont déjà beaucoup reçu et construit hors l'école et, de l'autre, ceux qui, n'ayant pas eu les mêmes occasions, s'en trouveraient, au bout du compte, doublement pénalisés.

Les parcours d'apprentissage à l'initiative des équipes pédagogiques doivent donc permettre à chacun :

- de commencer à comprendre le fonctionnement du langage écrit, en soi et dans sa relation avec le langage oral. Les enfants peuvent être sensibilisés, dans des situations d'écoute et d'observation, aux aspects sonores et graphiques tout autant qu'aux aspects sémantiques du langage qu'ils manipulent ou qui leur est proposé. Ils prennent ainsi conscience que la langue qu'ils parlent s'écrit et que cette langue écrite n'est pas exactement identique à celle qu'ils parlent. À partir d'une base de connaissances assurée, des reconnaissances et des rapprochements deviennent possibles : prénoms, capital des mots fréquemment utilisés dans la classe, ensemble de textes mémorisés (l'appropriation progressive d'un répertoire de comptines, chansons et poèmes, l'entraînement nécessaire de la mémoire, constituent, en tant qu'écrit oralisé, voire musicalisé, une base de travail intéressante pour l'exploration de textes écrits). La matière est abondante au moment où les enfants sont en mesure d'identifier des mots ou des syllabes, de commencer à mettre les sons qu'ils perçoivent en relation avec certaines réalisations graphiques ;

- de découvrir de multiples supports de lecture :
les enfants manipulent les livres et autres écrits qu'ils apprennent progressivement à utiliser à bon escient, à comparer et à classer ; la fréquentation régulière du coin-lecture et de la bibliothèque centre documentaire renforce cette initiation culturelle aux pratiques de lecture que complète, autant que faire se peut, l'accès à d'autres lieux de lecture. Ainsi que l'ont montré nombre de démarches présentées aux États généraux de la Lecture et des Langages, l'outil informatique a tout à fait sa place en maternelle et l'écran peut constituer, pour les tout-petits, un support fécond dès lors que l'usage en est correctement guidé par la maîtresse ou le maître ;

- d'aborder une grande variété de textes :
les premières situations sont, bien sûr, des situations d'écoute de textes racontés ou lus par la maîtresse ou le maître qui aura pris soin de les choisir pour leurs qualités linguistiques et leur intérêt thématique (les enfants, même très jeunes, ne sont pas dupes des faiblesses de certaines productions qu'on leur destine...). Les élèves sont conduits à identifier des indices (certaines formulations à l'oral, certaines caractéristiques graphiques ou typographiques) qui permettent de se repérer dans cet univers et commencent à assimiler des structures propres à certains écrits. Ils "participent" de la sorte à la lecture des textes, non seulement en accompagnant la lecture à haute voix de l'adulte mais aussi en commençant à questionner ces textes, en coopération avec lui et avec les autres enfants, dans une situation d'exploration collective ;

- de commencer à produire des textes écrits :
par la dictée à l'adulte, dans un premier temps puis par la production personnelle (même si ces constructions tâtonnantes s'apparentent à du "bricolage") à partir de matériaux connus et d'hypothèses sur le fonctionnement de l'écrit et les raisons du code. Au cours d'ateliers d'écriture, la "maîtresse-lectrice" ou le "maître-lecteur", en se faisant "la maîtresse ou le maître-écrivain", permet aux enfants de s'engager, dès la maternelle, dans des productions longues (petits albums, journaux, associant textes et images) ; le souci de montrer, en particulier hors la classe, une réalisation à tout prix aboutie ne doit pas conduire à contourner les difficultés utiles et à occulter l'identification précise des acquisitions dont elle est le support ;

- de s'exercer à tracer des mots et des messages :
les machines à écrire et les ordinateurs permettent de laisser des traces alors même que l'écriture manuelle n'est pas encore possible. Toutefois, le désir d'écrire, très fort chez les jeunes enfants, autorise à susciter les efforts qu'exige l'activité graphique normée. Si l'écriture cursive requiert une certaine maturité motrice et ne peut être abordée trop tôt, les premiers apprentissages peuvent porter sur les capitales d'imprimerie, sans qu'il s'agisse cependant là d'un point de passage obligé. L'écriture cursive est l'objectif car elle favorise la lisibilité, la rapidité, la fluidité et offre une meilleure perception des unités lexicales et de leurs liens. Les tâches d'écriture sont de préférence finalisées et brèves mais conduites avec rigueur. S'agissant de la graphie manuelle, on veillera aux gestes et postures physiques de l'enfant, à sa façon de tenir l'instrument dont il se sert pour écrire, en évitant les latéralités mal adaptées, toutes conditions nécessaires de tracés efficaces. On pourra, à cet égard, s'appuyer, comme le font certaines écoles maternelles, sur des initiations à la calligraphie (arabe, latine, etc.) avec le concours d'intervenants extérieurs qualifiés.

Pour explorer le fonctionnement du matériau écrit, des capacités transversales, auxquelles il est fait appel, ont été construites - et continuent à être développées - dans d'autres domaines d'activités. Ainsi, l'affinement de la gestualité par la pratique des arts plastiques et le travail corporel favorise l'entrée dans l'activité graphique. Les approches, à la fois sensibles, émotionnelles et rationnelles, des images ou des œuvres données à voir comme des productions plastiques, instrumentales ou chorégraphiques de la classe participent également de l'introduction aux pratiques de lecture.


III - EXPLORER L'UNIVERS DES IMAGES


Fixes ou mobiles, sur papier ou sur écran, insérées ou non dans des textes, réelles ou virtuelles, les images peuplent le monde enfantin, façonnant les perceptions, les représentations et les communications. Elles font sens dans l'univers des élèves mais ce sens, pas plus que les autres, n'est immédiatement donné.

L'éducation à l'image fait aujourd'hui pleinement partie des missions de l'école même si ses modalités sont encore souvent expérimentales et sa pratique effective très inégale. À l'école maternelle, les images ont depuis longtemps droit de cité comme supports d'échanges oraux ou d'initiation à l'écrit. Dans nombre de classes, on apprend aussi à les observer et à les décrypter pour elles-mêmes, à se repérer entre différents types de "discours icôniques", à acquérir de la sorte une compétence du regard qui est partie intégrante du développement de compétences analytiques plus larges.

Il est important de diversifier fortement les images proposées aux élèves. S'il est nécessaire de tenir compte de leurs goûts et de leurs univers (dessins animés, albums...), il est tout aussi nécessaire de leur donner quelques clefs pour savoir reconnaître, trier, catégoriser la quantité d'images fixes et animées qu'ils rencontrent quotidiennement. Dans un dialogue entre les contextes culturels (familial et scolaire) s'installent ainsi des univers de référence variés où chaque élève reconnaît et enrichit ses propres repères.

Longtemps considérée dans ses relations avec le texte qu'elle illustre et prolonge, l'image, support ou auxiliaire d'apprentissage, est aussi objet à explorer pour construire du sens. Les jeunes enfants ont un regard d'une pertinence et d'une acuité qui étonnent parfois l'adulte. Ils n'ont pas pour autant la capacité d'élaborer une lecture construite à partir de leurs perceptions. Une pédagogie du regard leur apprend à bâtir des significations à partir d'indices repérés et mis en relation pour proposer des lectures ouvertes. L'atelier de lecture d'images est alors une "communauté de lecture" où les hypothèses de sens sont à discuter, à débattre et à expérimenter ensemble dans un va-et-vient constant entre l'image et les reformulations de description ou d'argumentation que les enfants proposent (langage d'évocation).

C'est à l'école maternelle que se constitue une première approche des modalités de représentation, en aidant l'enfant à identifier les divers modes de production de l'image (dessin, photographie, vidéo, films...) par sa propre pratique de production, à repérer la fonction sociale d'une image et son statut dans la communication (publicité, information, jeux...), à comprendre les notions de "point de vue" et de "locuteur" et à construire des critères de jugement. Les parents seront sensibilisés à cette dimension du travail scolaire et aux inconvénients d'une surconsommation passive d'images télévisuelles.

De la description à la compréhension et à l'interprétation, du repérage et de la mise en relation d'indices à la construction de significations à partir d'hypothèses confrontées et d'arguments débattus, tel est le trajet qu'il incombe à l'école maternelle d'organiser, de la petite à la grande section. Qu'il s'agisse d'images liées à l'expérience vécue en classe, d'images empruntées à l'environnement réel des élèves, d'illustrations d'albums ou de reproductions d'œuvres d'art, d'informations, de documents ou de fictions télévisées, les élèves de l'école maternelle doivent apprendre à les observer et les considérer comme sources d'évocation et porteuses de messages.

Dès la maternelle, bien des postures adoptées et travaillées à l'occasion des activités mises en place à propos des images s'apparentent à celles requises pour une première approche de la lecture de textes : l'éducation à l'image est une activité propice à l'acquisition de compétences transférables. Diverses expériences menées en Cycle 1 ont d'ailleurs mis en évidence l'impact bénéfique de ces apprentissages précoces sur la maîtrise de l'oral et de l'écrit, à condition qu'ils soient conduits avec rigueur et que les Cycles 2 et 3 relayent cette éducation initiale à l'image (on a pu observer, en ce cas, des avantages significatifs en "compréhension des textes écrits" lors des évaluations nationales).


IV - LANGAGE DU CORPS, POUVOIR DES MOTS


Estime de soi et respect d'autrui vont de pair. C'est pourquoi le pouvoir de dire et d'apprendre est la première condition d'une socialisation scolaire qui est autant affaire de relation à soi que de rapport aux autres.

Ni rapport fusionnel, ni retranchement indifférent, cet "art de la bonne distance" constitutif des pratiques langagières scolairement efficaces, auxquelles initie l'école maternelle, est aussi ce qui permet à chaque enfant de vivre en bonne intelligence avec les autres. C'est parce qu'ils ne se bornent pas à des habiletés techniques que les apprentissages langagiers représentent, dès l'école maternelle, une première approche de la civilité et de la citoyenneté en actes, expérimentée et réfléchie.

Dans le registre général des droits et des devoirs de l'enfant et de l'écolier, ainsi que dans le domaine particulier de la protection contre les maltraitances auxquelles les très jeunes sont susceptibles d'être exposés, l'école maternelle a un rôle essentiel à jouer en lien étroit avec la part prépondérante qu'elle accorde à la maîtrise de l'oral et à la place du corps dans les apprentissages.

Le corps, lui aussi, dit beaucoup. Chez le jeune enfant, il est moyen d'expression et de communication : en le prenant au sérieux, l'adulte, avec ses mots, conforte l'enfant dans son désir de dire et d'être compris ; ce faisant, il l'encourage à se risquer vers d'autres manières de dire. L'attention au langage du corps permet d'aller aux mots. Le corps favorise aussi, par le jeu des imitations, des mimiques et des postures, l'accès à la symbolisation dont la prise de conscience relève déjà d'une pratique langagière.

Des droits et des devoirs : apprendre à parler pour vivre ensemble


Des principes, des valeurs, quelques règles du jeu républicain et scolaire : cela commence en maternelle. Pas de manière abstraite ou magistrale, mais en privilégiant les situations vécues et parlées, l'approche pragmatique et concrète qui ne signifie pas décousue. Pas de manière moralisante mais sans craindre d'assumer la dimension morale de toute éducation et en ayant soin de faire percevoir le sens sous-jacent de chaque expérience, de chaque exigence. La simple imitation, l'obéissance passive, la stricte contrainte disciplinaire ne produisent, au mieux, que des mises en conformité. C'est de tout autre chose qu'il s'agit : de premiers pas à guider sur le chemin de l'autonomie, de la responsabilité et de la solidarité.

Liberté, Égalité, Fraternité : ces grands mots aux frontons de toutes les écoles de la République peuvent se décliner dès la petite section, de manière étroitement corrélée à ce qu'on y apprend et aux manières d'apprendre dont le langage est à la fois l'enjeu et l'outil.
L'agressivité et la violence qui perturbent le climat scolaire de nombre d'écoles élémentaires et d'établissements du second degré sont infiniment moins présentes en maternelle. Elles n'en sont toutefois pas absentes. Il est d'autant plus important d'y apprendre précocement des modes de régulation des conflits fondés sur le respect de l'autre et sur le primat de la parole.

Le droit qui prime la force, l'honnêteté plus valeureuse que le mensonge, la capacité d'agir et son corollaire : le principe de responsabilité, l'égalité de traitement due à chacun et la réciprocité du droit d'être considéré comme un interlocuteur à part entière (écouté, compris, sollicité, respecté), l'affirmation de soi indissociable de l'attention aux autres, les vertus de l'entraide et celles de la persévérance individuelle, le pouvoir de se défendre et le refus de mettre l'autre en danger, l'accueil des différences (du nouveau, de celui qui vient d'ailleurs, de l'enfant malade ou handicapé) comme renfort de l'appartenance collective, les aptitudes égales d'un sexe et de l'autre, l'utilité et le bien-fondé de règles communes : ça se vit, ça se pense, ça se parle dès la maternelle. De même qu'on s 'y confronte aux interdits légitimes et qu'on y rôde les premiers rudiments de sens critique, toutes dimensions indissociables de la construction de la personnalité du jeune enfant.

Le privilège naturellement accordé en Cycle 1 aux occasions et aux circonstances offertes par la vie de la classe et de l'école favorise la participation active des classes et écoles maternelles, sous une forme adaptée à leur spécificité, aux journées annuelles des "Initiatives citoyennes". À cette occasion, nombre d'entre elles ont déjà témoigné de réalisations d'autant plus intéressantes qu'elles ne se situent pas en marge des apprentissages ordinaires mais s'en nourrissent et les nourrissent.

Par la médiation de la parole, le jeune élève acquiert la capacité de questionner son environnement et de penser par lui-même, d'écouter et d'argumenter, de négocier ses rapports avec le groupe et de participer à l'élaboration des règles du savoir-vivre ensemble. Tout en préservant toujours la part de communication sensible et émotionnelle, la maîtresse ou le maître l'incite à développer des dispositions propices à l'adoption de comportements confiants mais raisonnés. L'enseignante ou l'enseignant ménage des situations de confrontation régulée où chacun s'éprouve face aux autres dans des rôles variés. Le langage y a toute sa part, des dits intimistes de l'accueil aux prises de parole et situations plus collectives guidées ou étayées par la maîtresse ou le maître et requises par les apprentissages.

Les jeux divers donnent à vivre des situations de partenariat et d'opposition. Les comptines, les premiers poèmes, les histoires racontées ou lues, les chansons rassemblent le groupe-classe dans des moments où l'émotion, le plaisir et le rire fédèrent. Les productions par petits groupes amènent à coopérer dans une entente organisée.

Les échanges à propos de comportements posant problème, de différends voire de débordements des uns ou des autres (échanges singuliers entre l'enseignante ou l'enseignant et un enfant, à l'échelle d'un groupe ou de la classe entière) permettent d'élaborer des codes communs, de définir des règles utiles en les justifiant. Le retour sur les comportements observés durant la récréation est une situation fort intéressante de langage, détachée de l'action, et de réflexion sur la pratique des droits et des devoirs, de la coopération, de la responsabilité.
Les premiers débats sur les valeurs s'engagent à partir des faits du quotidien de l'école mais aussi à l'occasion d'évènements extérieurs à fort retentissement pour les enfants ; la découverte de récits et de textes bien choisis de la littérature jeunesse, l'analyse critique de productions cinématographiques et télévisuelles destinées aux plus jeunes enrichissent ces échanges.

Ces valeurs partagées, la "fête de la rentrée", moment fédérateur par excellence, en témoigne en même temps qu'elle donne le ton de l'année scolaire qui commence.

Prévention de la maltraitance : les signes pour la voir, les mots pour la dire


Première expérience scolaire de la vie en collectivité, l'école maternelle est en même temps un cadre où s'affirment les droits de la personne enfantine, au premier rang desquels le droit à l'intégrité et à la protection. Face à la maltraitance, le système scolaire a un devoir d'information, de prévention et d'intervention dont les modalités sont bien évidemment fonction de l'âge des élèves.


Ce qui est à vaincre en premier lieu, c'est la loi du silence, cette douleur de dire qui est aussi impuissance à mettre suffisamment à distance une situation qui est pour l'enfant difficile à penser, difficile à juger, difficile à communiquer. L'école peut aider à trouver les mots pour la dire. Elle doit aussi être alertée par ce qui se dit sans les mots, attentive au langage du corps ou à la signification possible d'un dessin.

Tous cycles et degrés confondus, l'école est aussi un lieu où on apprend à dire non, à faire valoir un point de vue, à motiver un refus. Elle contribue, ce faisant, à forger quelques moyens, pour l'enfant ou l'adolescent qu'il deviendra, de refuser de se soumettre aux abus et mauvais traitements de ses pairs ou des adultes, dans et hors le cadre scolaire. À ce rôle de prévention, l'enseignement de l'école maternelle apporte précocement sa pierre.

On y vit le partage et les joies du groupe mais aussi la protection de l'intégrité individuelle et le respect de l'intimité. On y apprend à ne pas attenter à la sécurité d'autrui mais également à se protéger soi-même. On y apporte de l'aide à d'autres, on en demande aussi pour soi, qu'on apprend à accepter. Acteur en devenir de la communauté scolaire, l'enfant y construit sa personnalité, y affirme son identité, y conquiert une parole qui l'aide à prendre ses repères et l'autorise à oser se confier.

La sensibilisation aux questions d'hygiène et de santé contribue, au-delà des informations qu'elle dispense, à accréditer l'idée que le corps n'est pas à malmener. Les exercices physiques, s'ils permettent mille manières de jouer avec lui, tracent aussi les limites à ne pas franchir et participent de cette démonstration : le corps de l'enfant n'est pas un jouet.

Les relations avec les familles, la connaissance des réalités du quartier, les liens établis avec la protection maternelle et infantile, bref, tout ce qui conduit l'école à se situer aussi au cœur d'un réseau plus large contribue à l'exercice efficace de sa responsabilité en matière de santé scolaire.

S'il semble illusoire de croire que la seule volonté d'un enfant de deux ou de cinq ans puisse s'opposer à celle d'un adulte maltraitant au point de le dissuader de passer à l'acte, du moins tout élève doit-il être assuré qu'il peut trouver à l'école l'appui dont il a besoin. Pour aborder explicitement ces sujets en maternelle, on pourra prendre appui sur des documents adaptés à l'âge des enfants, en veillant à ne pas les effrayer, à ne pas les rendre excessivement méfiants à l'égard du monde environnant, à ne pas susciter non plus, dans de jeunes imaginations, de confusion entre la garantie d'être entendu en cas de besoin et quelque insistance déplacée, voire suggestion inadmissible.

Le plus important réside dans la qualité des rapports établis avec les enfants, dans l'accessibilité et la disponibilité de toutes les catégories de personnels qui interviennent dans le cadre scolaire, dans l'écoute dont les élèves savent qu'ils peuvent bénéficier auprès des adultes, dans tout ce qui, partie du fonctionnement ordinaire de l'école et de la classe, fait qu'un enfant victime de violences ou d'abus sexuels pourra appeler à l'aide. Les équipes pédagogiques doivent également être particulièrement attentives aux signes qui, sur le corps ou dans l'attitude des enfants, indiquent ou laissent soupçonner des sévices dont la loi fait obligation de saisir les autorités compétentes en cas de révélation et de présomption (circulaire n°97-175 du 26-8-1997, B.O. hors-série n°5 du 4-9-1997). Les assistantes territoriales spécialisées des écoles maternelles (ATSEM) ont, à cet égard, un rôle déterminant d'observation, d'alerte et de dialogue avec l'enfant.

Encouragé à parler, familiarisé avec ses droits, gagnant en hardiesse de pensée et de jugement, l'enfant est moins démuni face aux abus de pouvoir qu'il arrive à de plus âgés de commettre sur lui. Il est aussi sensibilisé très tôt à l'idée de ne pas commettre d'abus sur les autres. C'est aussi cela mettre les langages au cœur des enjeux de l'école maternelle.


V - UN PROJET PÉDAGOGIQUE QUI ORGANISE LA PROGRESSIVITÉ DES APPRENTISSAGES


Les exigences scolaires s'adaptent au développement de l'enfant sans se borner à l'épouser. Tout enseignante ou enseignant porte une grande attention à l'évolution de ses élèves, s'interroge sur leurs progressions dont il garde la trace en s'attachant aux éléments significatifs. Il fait constater les réussites et ressortir les progrès les plus ténus.


Il sollicite le concours des personnels des réseaux d'aides spécialisées pour comprendre la situation des enfants qui ne manifestent pas d'avancées notables et trouver, avec leur appui, les interventions adaptées. Ces partenaires l'aident à cerner la nature des difficultés dont certaines exigent un traitement spécifique. Il importe en effet de distinguer objectivement ce qui relève de simples ajustements pédagogiques et ce qui relève de remédiations éventuellement médicalisées. Dans tous les cas, l'observation dans la classe, le diagnostic concerté en relation avec les familles et, dans toute la mesure du possible, le maintien dans le cadre scolaire de droit commun des enfants concernés doivent être privilégiés. La réflexion qui vient d'être lancée avec toutes les parties concernées sur l'intégration scolaire et le traitement des enfants affectés de troubles du langage (dyslexies, dysphasies...) prendra en compte le cas des élèves de maternelle au même titre que celui des élèves de l'enseignement primaire et secondaire.

L'école maternelle met en œuvre une pédagogie spécifique dans laquelle prévaut la création de situations que les enfants sont invités à explorer, à s'approprier, à faire évoluer. Ce faisant, ils expérimentent leurs savoirs et savoir-faire et conquièrent de nouvelles habiletés. Ainsi nombre d'apprentissages se font pour les enfants très jeunes en réponse à des stimulations du milieu. La dynamique scolaire doit partir d'acquisitions largement déterminées par ces situations et conduire à des apprentissages construits grâce à une action didactique plus ciblée et plus explicite. L'analyse des productions et des comportements des élèves dans des situations "authentiques" nombreuses précède l'organisation, en groupes restreints le plus souvent, de situations d'entraînement qui doivent avoir un objectif dominant. Ni pédagogie systématique pour tous ni émiettement permanent du groupe-classe, l'équilibre est à trouver par chaque enseignante ou enseignant de sorte que ne soient pas ajournés les apprentissages pour lesquels certains enfants manifestent appétence et compétence et de sorte, également, qu'on ne renonce pas à solliciter les uns au bénéfice des autres. Cette progressivité des exigences s'exprime dans le projet pédagogique de cycle et en liaison avec les équipes des cycles suivants, en particulier celles de CP.

Au fil des sections, il convient de favoriser prise de distance et prise de conscience par des questions et des commentaires accompagnant les productions, puis par une analyse explicite avec les enfants. Tous les débats qui amènent à confronter des procédures ou des points de vue enrichissent les représentations et font progresser dans l'accès à des connaissances. En matière de compréhension, qu'il s'agisse d'un discours seulement entendu (message enregistré, par exemple), d'images ou de textes, la maîtresse ou le maître conduit les enfants à exprimer leur interprétation sous des formes diverses (reformuler, résumer les épisodes précédents, raconter à un camarade absent lors de la séance précédente, représenter, anticiper la suite de l'histoire...) ou à témoigner de leur compréhension par des voies variées (en sachant lier un titre ou un résumé à un texte, en associant des images à une histoire, en répondant à des questions précises...). Elle ou il fait énoncer et discuter les raisons par lesquelles les enfants justifient leurs réponses. Ainsi se construisent des attitudes et des stratégies qui seront utiles ultérieurement quand les élèves seront seuls face aux textes à lire.

L'association des enfants à leur évaluation s'intègre dans cette stratégie. D'abord considérée comme l'identification des progrès accomplis avant d'être conçue comme la confrontation d'une réalisation à des attentes grâce à l'identification des critères de réussite, elle contribue à les faire entrer dans l'univers des apprentissages scolaires, sous la forme que développera l'école élémentaire. Les enfants deviennent conscients de ce qui est à acquérir, de leur degré de réussite, et peuvent détacher savoirs et savoir-faire des contextes de leur mise en œuvre. Des moments de bilan permettent de faire le point sur ce qui a été fait et ce qui a été appris ; la valorisation des comportements, des réalisations, des progrès et des propositions laisse des traces dans les cahiers ou dossiers qui font le lien avec les familles. Ce capital d'expériences et d'acquisitions est pris en compte à l'entrée au cours préparatoire.

La famille doit être associée à l'aventure scolaire de l'enfant, informée des règles du jeu scolaire et des progrès réalisés. Ces liens, dans le respect du rôle de chacun, doivent être recherchés et entretenus par tous les moyens adaptés. Bien des familles que l'on dit abusivement démissionnaires ou indifférentes à l'école lui font au contraire une telle confiance qu'elles s'en tiennent à distance trop respectueuse et n'imaginent pas qu'elles puissent, elles aussi, lui apporter leur concours.

L'élève est le premier "messager" en direction de ses parents. Le cahier de vie de la classe est un vecteur précieux de ce dialogue nécessaire. Encouragé à conserver des traces de son expérience scolaire (dessins, images, photographies, courts récits, témoignages des "premières fois" réussies : l'écriture du prénom, la chanson interprétée seul devant toute la classe, le franchissement de la poutre...), chacun peut ainsi expliquer à sa famille sa vie et ses conquêtes d'écolier. Incité aussi à apporter en classe des témoignages de ses activités dans l'univers familial, l'enfant est invité à en parler sans que l'école force pour autant son intimité ou l'oblige à évoquer ce qu'il peut souhaiter taire.

L'école maternelle, co-éducatrice des enfants, ménage des passerelles et aménage des transitions d'un univers à l'autre, quoique sans éluder cette part de séparation qui fonde le statut d'écolier. Accueillir à certains moments les parents dans la classe ou réaliser "la cassette" d'une journée scolaire typique : les moyens et les choix possibles sont multiples. L'important est que l'école, en particulier pour ceux qui en sont les moins familiers, donne à voir et à comprendre ses façons de faire. Une attention particulière doit être portée, avec tact, aux conditions de grande pauvreté dans lesquelles vivent certaines familles : l'école maternelle peut favoriser la mise en relation avec les services d'aide et doit particulièrement veiller à éviter les stigmatisations, même involontaires, qui font obstacle à l'insertion scolaire des enfants concernés.

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Pouvoir de dire et d'accueillir la parole de l'autre, pouvoir de comprendre et d'être compris, pouvoir d'apprendre, de vivre et de travailler ensemble, pouvoir de se construire et de se protéger, telles sont les facettes solidaires d'une même priorité de l'apprentissage du langage à l'école maternelle.

Les savoir-faire éprouvés de ses équipes pédagogiques, leur capacité à accueillir toutes les différences et à en tirer parti au sein d'une réelle communauté éducative, l'impact des premières années de scolarité sur la progression linguistique et langagière des jeunes écoliers, fondement de leur progression ultérieure : autant de raisons de faire, pour l'école maternelle, le choix de l'excellence.

Je souhaite qu'en lien étroit avec les priorités ici évoquées, la clarification nécessaire des objectifs pédagogiques de l'école maternelle en ce qui concerne la maîtrise des langages associe largement celles et ceux qui assument, au plus près des élèves, la mission d'enseigner ainsi que ceux (formatrices et formateurs, inspectrices et inspecteurs, conseillères et conseillers pédagogiques, personnels de toutes catégories) qui apportent directement leur concours à l'amélioration des pratiques de classe.

Les États généraux de la Lecture et des Langages ont mis en évidence le désir partagé et la nécessité de cet approfondissement de la réflexion collective et de la mutualisation des pratiques.

Tel est l'esprit de la consultation/actions qui prolonge ce texte et qui aidera à sa mise en application.
Pour pouvoir répondre à cet appel, les équipes pédagogiques des écoles maternelles et les maîtresses et les maîtres qui ont la charge de classes maternelles ou de sections enfantines bénéficieront d'un temps de réflexion et d'échanges autour des thèmes et des questions abordées ici, associant les enseignantes et les enseignants des Cycles 1 et 2 (par exemple, dans le cadre des conseils de maîtres, d'animations pédagogiques ou sous la forme de regroupements jugés opportuns au plan local). Ce temps sera mis à profit pour confronter des pratiques et des réalisations, analyser des difficultés et préciser des besoins, collecter, comparer et diffuser des outils de suivi des élèves et d'évaluation.

L'annexe jointe propose des axes de questionnement. Les maîtresses et les maîtres ont le choix de les aborder tous ou de n'en retenir que quelques-uns.
Les observations et les contributions locales seront recueillies au cours du premier trimestre de cette année scolaire. Elles feront l'objet d'une première synthèse au niveau départemental, élaborée par un groupe de travail composé de maîtresses et de maîtres volontaires avec l'appui des équipes de circonscription et des formatrices et formateurs d'IUFM. Leur tâche ne sera pas de sélectionner ou de filtrer mais d'ordonner la collecte, la mise en commun et la remontée des différentes contributions, que celles-ci soient individuelles ou produites par des équipes pédagogiques.

Ces synthèses me seront transmises pour le 15 décembre 1999. Elles seront alors exploitées au niveau national sous la responsabilité d'un comité de suivi auquel seront associées les organisations représentatives. Ce comité préparera la restitution des résultats les plus significatifs : identification des besoins partagés et difficultés communes, pistes de recherches-actions, mise à disposition des outils les plus adaptés (non à titre de "modèles" mais comme autant d'indications du possible et sources d'inspiration), sélection de ressources documentaires utiles, conséquences pour une meilleure intégration des préoccupations et des attentes de l'école maternelle dans les actions de formation initiale et continue.
Je souhaite que cette démarche fasse l'objet d'animations pédagogiques de circonscription mobilisant également les enseignantes et les enseignants de l'école élémentaire et les sensibilisant à une réflexion approfondie sur la complémentarité et la solidarité des différents cycles de l'école primaire en matière de maîtrise des langages (oral, écrit, images).
Des orientations sont ici tracées à partir de savoir-faire déja mis en œuvre dans nombre de classes.

Je compte sur vous pour y engager votre expérience et vos compétences afin que l'école maternelle, école à part entière, guide le plus efficacement possible ses jeunes élèves dans leurs premiers pas scolaires.


La ministre déléguée, chargée de l'enseignement scolaire

Ségolène ROYAL



ANNEXE


CONSULTATION/ACTIONS :
QUESTIONS PRATIQUES, QUESTIONS DE PRATIQUES

Cette fiche formule, de manière non exhaustive, un certain nombre de questions relatives à l'analyse des pratiques dans la classe, aux pistes à explorer et aux outils susceptibles d'être mis en place au service de cet objectif prioritaire de l'école maternelle : l'apprentissage des langages.

Il s'agit là d'axes indicatifs à propos desquels les équipes pédagogiques sont invitées à réfléchir, à échanger, à proposer. Ce questionnaire est volontairement ouvert pour permettre l'expression la plus libre possible. Il doit être compris comme une trame de discussion dans les écoles et les circonscriptions, comme le support d'une mise en commun des expériences et des besoins.

1 - Le langage dans les différents domaines d'activités de l'école maternelle

Les programmes de 1995 B.O. spécial n°5 du 9-3-1995 distinguent cinq grands domaines d'activités pour le Cycle 1. Si un seul d'entre eux aborde de façon explicite la maîtrise des langages par les élèves, des objectifs langagiers peuvent être introduits à l'occasion des activités réalisées dans le cadre des autres domaines.
En relation avec des objectifs langagiers précisément identifiés et du point de vue de l'efficacité des apprentissages correspondants, quelles situations vous paraissent les plus efficaces et quels supports vous semblent les plus pertinents et les plus pratiques ?

2 - Les parcours d'apprentissage des langages

L'apprentissage des langages s'inscrit dans la durée. C'est donc une progression qu'il convient d'organiser.
Qu'il s'agisse de l'oral, de l'écrit ou des images, quels principes, repères et critères adoptez-vous pour définir les étapes de parcours d'apprentissages ? Quels exemples concrets pouvez-vous en donner ?

3 - L'évaluation de l'oral

La parole, dans l'ordinaire de la classe, ne se prête pas aisément à l'évaluation. Elle pose aussi la question de ce qu'on évalue : quantité ? qualité ? adaptation du langage aux situations de communication ? degré de maîtrise formelle de la langue ?
Quels objectifs et indicateurs privilégiez-vous ? Quelles situations vous paraissent à ce titre les plus propices ? De quels outils (grilles, guides...) vous servez-vous le cas échéant pour observer et suivre les progrès des élèves ainsi que le développement de leurs compétences ? Vous semblent-ils suffisants ? (Joindre un exemplaire de ces outils éventuels).

4 - Apprentissages langagiers et hétérogénéité des classes

Combiner la prise en compte de la diversité des élèves (histoires, rythmes...), le maintien d'objectifs communs à toute la classe et la définition de niveaux d'exigence qui incitent chacun à aller de l'avant sans dissuader les uns au bénéfice des autres, c'est l'une des difficultés majeures du métier d'enseignante ou d'enseignant.
Comment analysez-vous les principaux obstacles que vous rencontrez concrètement pour aider chacun à la mesure de ses besoins ? Quels dispositifs et modalités d'organisation avez-vous mis en place ou estimeriez-vous souhaitable de développer (petits groupes, ateliers... personnes ressources, périodicité) ?

5 - Relations avec les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED)

Les RASED peuvent apporter une aide d'autant plus précieuse au diagnostic et à la remédiation que leur collaboration est étroite, sur le terrain, avec les enseignants.
Quelles expériences avez-vous de coopération avec ces réseaux et quelles conclusions en tirez-vous ? Quelles modalités d'intégration des RASED dans le travail de la classe (observation, intervention) avez-vous vécues ou estimeriez-vous utiles ?

6 - Compétences langagières en maternelle

L'école maternelle ne se réduit pas à une étape pré-élémentaire de la scolarité. École à part entière, dotée de finalités propres, elle a en même temps pour tâche d'asseoir les apprentissages premiers et d'amorcer la transition vers les apprentissages fondamentaux du Cycle 2.
Quel avis portez-vous sur la définition actuelle des compétences langagières du Cycle 1 ? Quelles priorités avez-vous retenues dans vos pratiques ? Quels avantages ou inconvénients voyez-vous à la bi-appartenance de la Grande Section aux Cycles 1 et 2 dans le domaine, en particulier, de l'initiation à la lecture et à l'écriture ?

7 - Outils

Quels sont les ouvrages, les documents et les outils qui vous apparaissent pertinents et maniables à l'heure actuelle ? En liaison avec toutes les questions précédentes et les besoins que vous ressentez, de quels outils souhaiteriez-vous personnellement disposer pour mieux épauler vos pratiques dans la classe ? Sur quoi devraient prioritairement porter des outils mis à la disposition de tous et, le cas échéant, sous quelle forme (service en ligne, documents papier, mise en commun à l'échelle de la circonscription, au niveau académique ou national, etc.) ?