Bulletin Officiel
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www.education.gouv.fr/bo/1998/hs13/charte.htm - vaguemestre@education.gouv.fr |
UNE CHARTE POUR BATIR L'ÉCOLE DU
XXIe SIECLE
C. n° 98-235 du 20-11-1998
NOR : MENE9802836C
RLR : 510-0
MEN - DESCO
o À l'orée du XXIe siècle,
au moment où nous entrons de plain-pied dans la mondialisation et
où l'émergence des nouvelles technologies de la communication
pose d'une manière nouvelle le problème de l'apprentissage
des savoirs fondamentaux, l'École de la République doit faire
face à de nouveaux défis. Elle doit le faire en s'adaptant,
en évoluant, en se réformant tout en restant fidèle
à ses principes, à ses idéaux, à ses buts, sans
renier ses principes fondamentaux.
Face à des injustices sociales persistantes,
l'idéal d'égalité des chances et l'objectif de
réussite scolaire pour tous restent plus que jamais d'actualité.
L'idée de laïcité comme celle de citoyenneté demeurent
des références essentielles.
L'enfant du XXIe siècle n'est
pas celui de l'époque de Jules Ferry. Abreuvé d'images et
d'informations, soumis très tôt aux contradictions du monde
moderne, à ses tensions, à ses tentations, il a besoin de
repères solides, de maîtrise des savoirs fondamentaux pour
comprendre le monde complexe qui l'entoure et faire l'apprentissage de
l'autonomie, de la socialisation et de la responsabilité.
Cette charte se veut une référence
pour les évolutions à venir de l'école primaire. Elle
s'articule autour de trois points :
1 - Élaborer progressivement et collectivement
de nouveaux programmes pour des temps nouveaux, centrés sur le thème
apprendre à parler, lire, écrire, compter, articulant tous
les contenus et les grandes orientations pédagogiques.
2 - Mettre progressivement en place des rythmes
scolaires adaptés à ceux de l'enfant. L'organisation de la
journée scolaire doit tenir compte des nouvelles conditions sociales
et permettre l'émergence d'une vraie égalité des
chances.
3 - Repenser "le métier de professeur des
écoles en permettant une plus grande autonomie dans les choix
pédagogiques et en intégrant le travail en équipe, ce
qui nécessitera des évolutions de la formation initiale et
continue des enseignants".
Cette charte forme un tout. Elle veut définir
aussi bien un mode d'action immédiat pour le présent que proposer
une méthode facilitant les changements nécessaires. Elle inclut
les grandes lignes d'un programme d'action, de recherche et de réflexion
sur l'école primaire et se fonde très largement sur les
expériences et les études réalisées depuis des
années dans notre pays et dans les autres pays européens.
Adapter les programmes
Les programmes de l'école primaire doivent
être conçus beaucoup plus comme des programmes portant sur des
objectifs que comme des suites d'instructions rigides destinées à
être appliquées à la lettre. Ils doivent prendre en compte
un des acquis déterminants de cette fin de siècle : la
scolarité est obligatoire jusqu'à 16 ans et les connaissances
acquises à l'école primaire sont complétées par
celles qui seront acquises ultérieurement au collège. On ne
peut plus penser les programmes de l'école indépendamment de
ceux du collège.
Les programmes s'appuient sur le débat
dans les écoles et au cours du temps évoluent en respectant
les principes suivants :
- donner un cadrage national garanti par les
évaluations nationales,
- autonomie des maîtres pour bâtir
un enseignement adapté à des publics divers, ceci dans le respect
des règles du service public d'enseignement.
Pour atteindre ces objectifs de la manière
la plus efficace possible, un programme de recherche sur l'école primaire
va être développé sous la responsabilité de l'INRP.
Il impliquera des enseignants de tous les ordres d'enseignement et comportera
des recherches universitaires aussi bien que des recherches sur les pratiques.
Ses résultats seront diffusés à l'ensemble des instituteurs
et professeurs des écoles.
Chaque année seront organisés à
l'échelle des départements ou des bassins d'emplois des colloques
pédagogiques dans lesquels les enseignants de l'école primaire
exposeront et discuteront leurs expériences pédagogiques.
Tous les quatre ans, un colloque national sur
l'école fera le point des expériences, des observations et
conduira à proposer des inflexions ou des modifications du programme
des écoles ou des recommandations concernant des pratiques
pédagogiques.
Les rythmes et l'organisation du travail à
l'école
Le problème du calendrier scolaire
réglé en théorie en 1989 par le principe du 7/2 reste
entier puisque l'institution n'a pas été à même
d'appliquer et d'évaluer correctement ce principe. La longueur des
grandes vacances comme celle des "petites vacances" est parfois mise en cause.
A contrario, un allégement de la journée scolaire est souvent
souhaité. Il importe de progresser sur ces sujets sans dogmatisme,
sans précipitation, mais avec détermination. Nous le ferons
mais, dans ce texte, nous nous concentrerons sur la journée
scolaire.
Depuis longtemps, les fédérations
de parents d'élèves, des syndicats d'enseignants et les
spécialistes des rythmes d'activité de l'enfant réclament
une meilleure prise en compte des phénomènes de fatigue de
l'enfant dans l'organisation de la journée scolaire.
Parallèlement, les attentes de la
société concernant les activités physiques ou sportives,
artistiques, scientifiques sont de plus en plus fortes. C'est là aussi
l'un des enjeux de la recherche de l'égalité des chances pour
tous, car l'égalité devant l'accès à la culture
ou au sport ne saurait être dissociée de cet objectif.
Sur un autre plan, la généralisation
du travail des couples et l'éloignement des lieux de travail induisent
une demande légitime des parents pour l'accueil des enfants à
l'école jusqu'à 18 heures ou 18 heures 30.
Plus fondamentalement, l'exigence d'une
véritable égalité des chances à l'école
doit conduire l'éducation nationale à être son propre
recours, en particulier pour les enfants en difficulté moyenne ou
grave ou pour ceux dont l'origine sociale fait que l'aide à la maison
est faible ou inexistante. L'organisation du temps scolaire doit permettre
de trouver les formes pour exercer ce recours par un soutien spécifique
(aide à l'étude, aide au travail personnel).
Outre les parents, de nombreux partenaires participent
à l'éducation des enfants. L'école n'est donc pas seule
en cause. Les rapports entre ces partenaires ont été repensés
dans le cadre des contrats éducatifs locaux, associant les
ministères concernés et prévoyant les synergies souhaitables
avec les collectivités locales et le secteur associatif. Ces contrats
qui visent à organiser les journées de l'enfant conformément
à ses rythmes de vie préciseront, en particulier, la manière
d'occuper des temps non scolaires, ceux utilisés par les transports,
l'accueil, la cantine, la fin d'après-midi. Cette charte et la circulaire
sur les contrats locaux sont des textes complémentaires.
En ce qui concerne la journée scolaire,
l'idée généralement répandue, étudiée
ici ou là sous forme "d'expériences" diverses en France, et
plus systématiquement dans certains pays étrangers, est de
réserver l'enseignement des disciplines "traditionnelles" à
la matinée et de consacrer l'après-midi aux disciplines dites,
de manière très simplificatrice, d'éveil : musique,
dessin, arts plastiques, sports.
D'autres vont plus loin et pensent que ce n'est
pas la vocation de l'école publique d'assurer ces dernières
tâches.
Ces schémas qui ont leur logique ne nous
semblent répondre ni aux nécessités évoquées
en préambule, ni à l'idée que nous nous faisons du
rôle de l'École de la République.
a) Il ne doit pas y avoir une matinée avec
cartable et une après-midi sans cartable. Cette conception a conduit
soit à confier complètement l'après-midi à des
intervenants extérieurs à l'école, soit, comme en Allemagne,
à rendre aux familles les enfants à partir de 14 heures.
Au contraire, d'après nous, l'acte
éducatif doit être présent tout au long de la journée
scolaire même dans les exercices aux apparences plus ludiques
(l'apprentissage du dessin, le sport) ou moins scolaires (l'habillage en
maternelle). L'activité de l'après-midi doit donc être
conçue et exécutée sous l'autorité des enseignants
de l'école primaire.
b) Les théories de développement
intellectuel de l'enfant suivant lesquelles l'attention est meilleure le
matin que l'après-midi doivent être nuancées. La
variabilité individuelle est importante et l'on est loin de
résultats valables uniformément pour tous les
élèves.
Cependant, il est vrai que les heures entre 10
et 12 sont en général propices à l'assimilation de notions
difficiles et que la mémoire semble s'exercer particulièrement
bien en milieu et en fin d'après-midi. Ainsi se dégage l'idée
que la fin de journée scolaire consacrée en partie à
l'étude ou à l'aide aux devoirs et aux leçons devient
un objectif souhaitable et même indispensable dans certaines situations
(élèves défavorisés ou en difficulté).
c) La distinction entre disciplines du matin et
du début de l'après-midi porte souvent davantage sur le style
et la forme d'enseignement que sur une question de hiérarchie entre
disciplines sur le plan de l'activité cérébrale. De
plus, des contraintes matérielles comme la disponibilité
d'installations sportives proches ou non rendent les choses un peu plus
complexes.
On peut envisager une configuration de la
journée sur des bases différentes de celles d'aujourd'hui et
définie selon les écoles et les équipes, en respectant
les rythmes des enfants, le tout sur la base d'un cahier des charges national.
Cette configuration repose :
- sur les enseignants, qui, outre leur activité
d'enseignement, sont responsables de la coordination de toutes les
activités organisées sur le temps scolaire,
- sur les aides-éducateurs spécifiquement
affectés à l'école,
- sur les intervenants extérieurs de formation
artistique, culturelle ou sportive, mais qui devront à l'avenir être
explicitement intégrés dans l'équipe
éducative.
La nécessaire collaboration entre les
enseignants et les
aides-éducateurs doit respecter
le principe de non-substitution. Ainsi, les aides-éducateurs ne peuvent
en aucun cas assurer le service d'enseignants absents. En revanche, à
partir du moment où une activité éducative figure dans
un projet d'école, un aide-éducateur peut y participer. Leur
présence peut permettre d'inventer de nouvelles façons de
travailler avec des pédagogies plus actives et plus
variées.
Il doit y avoir continuité et non simple
contiguïté entre les activités du matin et celles de
l'après-midi. Les aides-éducateurs doivent pouvoir être
présents dans la classe, au moins une partie de la matinée,
pour aider l'enseignant et observer le travail et les comportements des
élèves ; les activités de l'après-midi doivent
rester de la pleine responsabilité des enseignants, soit qu'ils les
conduisent directement, soit qu'elles se déroulent sous leur
contrôle. Ceux-ci se concertent régulièrement avec les
aides-éducateurs et les autres intervenants pour leur donner des
indications sur les connaissances et les aptitudes qu'ils peuvent et doivent
solliciter chez les élèves, recevoir d'eux des informations
sur les capacités, non nécessairement scolaires au sens usuel,
dont les élèves font preuve à travers ces activités
et qui doivent être réutilisées et valorisées
dans la classe.
La place des parents dans l'école doit
être revue : les parents, notamment
par le biais de leurs fédérations, doivent être
préalablement consultés et régulièrement
informés sur tout ce qui touche à l'organisation du temps scolaire
et du temps des études. Cette information doit permettre aux parents
d'être à même d'accompagner, en toutes circonstances,
la scolarité des enfants sous tous ses aspects.
Une grande expérience préludant
à de nouveaux rythmes pour toutes les écoles
Il y a donc nécessité de lancer
une grande expérience sur les rythmes de travail et de vie de
l'élève pendant la période qui va de l'entrée
à l'école jusqu'à éventuellement la fin de
l'étude surveillée, même si cette dernière ne
fait pas partie du temps scolaire traditionnel. Cette expérience doit
tester plusieurs variantes qui toutes s'appliquent à répondre
aux besoins de l'enfant et aux demandes sociales exposées plus haut.
À titre d'illustration, nous donnons en appendice des exemples, parmi
d'autres, de ce que pourrait être une des configurations
expérimentales de la journée ; ces exemples sont volontairement
détaillés uniquement pour illustrer le propos. L'esprit en
est donc plus important que la lettre.
Cette expérience tiendra compte
évidemment des conditions et des contraintes existant en 1998. Tout
le monde s'accorde sur la nécessité du travail en équipe
des enseignants (reconnue dans la loi d'orientation de 1989 et
concrétisée par les conseils de cycles et les conseils de
maîtres) mais aussi sur celle de la présence d'adultes en surnombre,
condition essentielle pour améliorer la qualité des rythmes
de l'élève à l'école.
Or, la présence des aides-éducateurs,
mais aussi des éducateurs sportifs et culturels
rémunérés par les villes ou les associations, constitue
aujourd'hui une donnée effective sur laquelle l'expérimentation
doit être construite.
À partir de cette expérimentation
pourront alors être mieux définis les types d'équipes
qui sont à même de prendre en charge, d'une manière optimale,
les évolutions nécessaires.
Fidèle à notre volonté
d'évolution progressive, nous proposons d'expérimenter ce type
de schémas dans au moins deux mille écoles en France dont la
moitié pourraient être situées en ZEP. Il s'agit là
d'une véritable expérimentation, avec des hypothèses
de travail formulées avant l'évaluation, des modalités
très variables sur les facteurs en jeu, un effet "volontariat"
évalué, puisque l'expérience débutera
nécessairement avec des écoles volontaires. De même,
les contextes géographiques et sociaux seront variés.
Cette expérimentation sera suivie par
:
- un comité d'animation et de suivi paritaire
par académie,
- un comité national de suivi paritaire
impliquant une représentation des fédérations de parents,
d'organisations syndicales, des grandes associations concernées par
l'école.
À partir du bilan de cette
expérimentation et des ajustements indispensables qui se feront jour,
l'extension progressive et les inflexions de l'expérience seront
examinées tous les ans.
Vers une conception élargie du métier
de professeur des écoles
Ces schémas libéreraient du temps
l'après-midi pour certains enseignants qui pourraient à tour
de rôle :
- mettre en place des formules d'aides aux enfants
en difficulté,
- préparer leurs activités de
coordination,
- se former.
Replacé dans ce cadre, le métier
de professeur des écoles apparaît sous un jour nouveau. Il ne
s'agit plus de l'instituteur traditionnel, seul dans sa classe, chargé
de tout faire. Cette conception a été essentielle pour fonder
l'École de la République mais ne correspond plus tout à
fait aux temps présents et a du mal à répondre tant
à la demande sociale qu'aux nécessités de modifier les
savoirs enseignés.
Les professeurs des écoles comme les
instituteurs sont attachés à leur nécessaire polyvalence.
Ils continueront à recevoir une formation professionnelle très
solide concernant les moyens pédagogiques à choisir pour atteindre
les objectifs évoqués dans la première partie. Mais
il leur faut aussi uvrer à ce que les arts (chant, dessin,
danse...), l'éducation physique et sportive, les langues vivantes,
l'usage de toutes les nouvelles technologies soient enseignés de la
manière la plus pertinente possible par l'équipe des enseignants
de l'école assistée des aides-éducateurs et des intervenants
"extérieurs".
La nouvelle organisation de la journée
permettra à chaque enseignant de valoriser au mieux ses aptitudes
personnelles en s'investissant plus à fond dans certains des domaines
évoqués plus haut. Loin d'abandonner leur nécessaire
polyvalence, les enseignants la feront vivre de façon nouvelle dans
l'intérêt des enfants et suivant leurs propres inclinations.
Le travail en équipe des enseignants d'une part, des enseignants et
des autres adultes intervenant dans l'école, d'autre part, prendra
alors de nouvelles dimensions.
Après l'évolution culturelle qu'a
été la décision de Lionel Jospin de recruter les professeurs
des écoles au niveau de la licence, une mutation du métier
est en cours dans l'enseignement primaire.
Le professeur des écoles reste l'adulte
de référence pour une classe. Cependant, il n'est plus le seul
adulte au contact des enfants dans l'école. Désormais, son
rôle est double : il dispense l'enseignement et il participe à
la coordination d'une équipe.
L'émergence de la nouvelle école
primaire, premier service public du pays, justifie de nouveau devant la
population la revalorisation de la fonction d'enseignant des
écoles.
Le ministre de l'éducation nationale,
de la recherche et de la technologie
Claude ALLÈGRE
La ministre déléguée,
chargée de l'enseignement scolaire
Ségolène ROYAL